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population accourt de très loin à sa rencontre ; on sort des mosquées et on vient incliner devant lui les drapeaux sacrés, verts, jaunes et rouges ; les musiciens en bandes font résonner l’air de leur musique sauvage ; les cavaliers font parler la poudre et exécutent de brillantes fantasias. La foule, hommes, enfans, femmes, l’environne à flots pressés, cherchant à obtenir sa bénédiction. C’est un privilège, un gage certain de la faveur céleste que de pouvoir baiser sa main ; heureux encore celui qui peut toucher le cheval qui le porte. Pour contenter la foule avide, les serviteurs du chérif attachent quelquefois à la housse de longues cordes qui permettent à un plus grand nombre de baiser un objet qui ait approché le saint. Et de minute en minute arrivent de nouveaux drapeaux, de nouvelles troupes de musiciens, des groupes de cavaliers tout frais survenus, une foule sans cesse augmentée à tel point que le saint, malgré les efforts de ses serviteurs, peut à peine avancer et demeure des heures pour faire le moindre déplacement. Ordinairement, il marche avec une suite d’une centaine de personnes, à toutes petites journées, recevant des diffas gigantesques, comblé de présens de toute sorte. On croit qu’il a le pouvoir de remettre les péchés, de concilier les faveurs de Dieu, de donner le bonheur, de faire même des miracles. Sidi-el-Arbi, le grand-père du chérif actuel, qui n’eut qu’un enfant, et sur le tard, avait la réputation de guérir les femmes stériles. Abd-el-Selam, son fils, qui est mort en 1894, lorsqu’il était retiré dans sa demeure et ne recevait pas, passait pour avoir conversation avec un lion qui lui apportait les ordres de Dieu.

Cette puissance est-elle demeurée entièrement intacte ? N’a-t-elle point subi de graves atteintes dans ces derniers temps ? C’est ce qu’il est assez difficile de savoir d’une manière très précise, parce que le Maroc nous est entièrement fermé, parce que les indigènes n’aiment point s’entretenir de ces choses-là avec les infidèles. On a des raisons de croire que, par suite des menées du sultan, jaloux de cette puissance, par suite aussi du caractère et des tendances du grand maître Abd-es-Selam, le prestige du grand chérif a subi quelque éclipse.

C’est une singulière et bien originale figure, parmi les musulmans, que celle de Moulei Mohammed El-Hadj Abd-es-Selam ben-el-Arbi. Devenu chef de l’ordre, à la mort de son père, vers 1850, il se fit remarquer par un esprit ouvert, sa tolérance, son sens pratique. Il avait fait le pèlerinage de La Mecque à bord