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puissances européennes. Il avait répudié ses femmes arabes pour épouser une jeune institutrice anglaise ; d’autre part, ses intérêts le portaient à rechercher l’amitié de la France. On sait que son ordre a dans notre colonie d’Algérie de nombreux khouan ; en empêchant ou en laissant ses moqaddem y faire leurs quêtes, nous pouvons, à notre gré, contribuer à l’enrichir ou à le ruiner. Comme il nous rendit service en plusieurs occasions, on permit à ses envoyés de récolter en Algérie les ziara, on le couvrit du titre de protégé français, on fit même destituer le pacha de Ouazzan, qui lui avait fait une sourde guerre. Pour lui, il est venu, il y a quelques années, s’entretenir à Alger avec le gouverneur général de notre colonie, et les deux fils qu’il a eus de sa femme anglaise ont été élevés au lycée d’Alger.

Cette politique d’Abd-es-Selam n’avait pas été sans lui aliéner les musulmans. Lenz, qui visita le Maroc en 1880, dit à son sujet : « Le chérif d’Ouazzan jouit d’une certaine influence sur une grande partie du petit peuple ; mais il n’est plus vrai de dire qu’il occupe en quelque sorte la situation d’un pape marocain. Sa considération est à peine plus grande que celle des autres cheurfa. » Cette appréciation, vraie pour les pays soumis au sultan, les seuls à peu près que Lenz ait vus au Maroc, ne semble pas exacte pour les pays demeurés indépendans du sultan : elle ne l’est surtout pas en ce qui concerne Ouazzan, où MM. de Chavagnac et La Martinière ont vu postérieurement le chérif jouir de la plus grande influence. Dans l’extrême Sud son crédit paraît moindre qu’autrefois et sa tentative il y a quatre ans pour nous ouvrir pacifiquement le Touat paraît l’avoir un peu compromis. C’est le sort, semble-t-il, qui menace tous les personnages musulmans qui se font ouvertement nos alliés[1].

Le chérif n’en était pas moins resté un fils du Prophète, un maître de la baraka ou bénédiction, un homme vénéré et influent sur les masses, qui pouvait grandement nous servir.

Abd-es-Selam est mort au commencement de l’année 1894 ; il a eu pour successeur son fils aîné Sidi-el-Arbi, qui, comme les chérifs ses prédécesseurs, a consacré naguère le nouveau sultan. Préoccupé surtout des choses religieuses, qu’il dirigeait déjà en

  1. Il en est advenu ainsi pour l’ordre des Tedjini, dont les maisons mères sont Aïn-Mahdi et Temacin, en Algérie. Depuis que ses marabouts se sont montrés favorables à notre politique, leur influence a diminué ; les Touareg ont tué un de leurs moqaddem qui accompagnait la mission Flatters.