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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/469

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ouvertures en ce sens. Par malheur, si Frédéric parlait de paix, il ne préparait que la guerre, et dès le début de la campagne de 1760, il signifiait à son correspondant si bien intentionné qu’il n’avait plus le temps de s’amuser à des plaisanteries. « C’est maintenant que je dois déployer toutes les voiles de la politique et de l’art militaire. Les filous qui me font la guerre m’ont appris des exemples que je vais suivre au pied de la lettre. Je ne poserai les armes qu’après avait fait trois campagnes ; nous ne signerons la paix que le roi d’Angleterre à Paris et moi à Vienne. Mandez cette nouvelle à votre petit duc… Je vous recommande, Monsieur le comte, à la protection de la très sainte immaculée Vierge et à celle de Monsieur son fils, le pendu[1].  » Voltaire lui-même tomba d’accord qu’il n’était plus que d’avoir de bonnes troupes et de bons généraux. C’est par cet appel aux armes que se termine sa négociation pour la paix. A quelque temps de là, une phrase malheureuse de l’Épître dédicatoire de Tancrède lui aliéna la protection de Mme de Pompadour. Ce fut la fin. L’accès des chancelleries et des cours lui était décidément fermé. Il lui restait à s’installer dans cette indépendance où on avait été assez imprudent pour le reléguer.

En écartant systématiquement Voltaire, le gouvernement de Louis XV commit une lourde faute. M. le duc de Broglie le fait ressortir avec force. C’est un point qu’historiens et biographes avaient jusqu’ici trop négligé. Les agens que la cour de Versailles entretenait auprès de Frédéric étaient d’une incapacité notoire. C’était un lourd et grossier personnage, l’Irlandais Tyrconnel qu’une indigestion emporta, quelques jours après son médecin, ce goinfre de La Mettrie, enlevé par le même accident. Puis ce fut un agent sans autorité, le chevalier de La Touche, avec qui Frédéric refusa constamment de traiter d’aucune affaire importante. Lorsque les circonstances devinrent tout à fait pressantes, on se décida à expédier un ambassadeur extraordinaire, le duc de Nivernais. Celui-ci en prit à son aise, voyagea en grand seigneur, à petites journées, et arriva à Berlin juste le lendemain du jour où une convention venait d’être signée entre la Prusse et l’Angleterre. « Je suis porté à penser, dit M. de Broglie, que Voltaire aurait su deviner quelque chose de plus et l’aurait fait savoir plus tôt.  » Si on répugnait à confier à un homme de lettres une véritable négociation, ne pouvait-on du moins, ainsi que Voltaire en avait lui-même suggéré l’idée, se servir de lui comme d’un agent d’informations ? C’était pour un gouvernement une bonne fortune inespérée, que

  1. Frédéric à Voltaire, 1er mai 1760.