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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/474

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tourmentée que ne l’avait été son âme inquiète. A. cette vie infortunée, et jusqu’au bout dramatique, un coup de stylet a mis fin : c’est à peine si un peu de sang a coulé de la blessure presque imperceptible. L’impératrice Elisabeth n’a pas vu venir la mort, qui n’aurait eu sans doute rien de cruel à ses yeux : elle n’a pas souffert, elle a cessé de souffrir.

Mais ce nouveau meurtre, dans les conditions odieuses où il a été accompli, pose une fois de plus une question qui n’a pas encore été résolue. On s’étonne, en voyant les choix que font les anarchistes : la vérité est qu’ils ne choisissent pas. L’arme meurtrière va au hasard entre leurs mains. Pourquoi Caserio, il y a quelques années, a-t-il pris le président Carnot pour victime ? En quoi son crime pouvait-il changer la marche générale des choses ? Lorsque Angiolillo, il y a un peu plus d’un an, a frappé dans M. Canovas del Castillo le dernier homme d’État de l’Espagne, l’événement a été plus considérable par ses conséquences. Du moins on a pu le croire. Qui pourrait dire aujourd’hui avec certitude si M. Canovas, à supposer qu’il eût continué de vivre, eût changé pour son pays le cours de l’histoire ? Peut-être est-il mort opportunément pour sa gloire, et certainement il est mort à temps pour son bonheur. Mais enfin, c’était un homme d’État puissant ; il ne reculait devant rien ; il était capable, dans une grande partie politique, de jouer le tout pour le tout, et de défier le destin en lui opposant la force de sa volonté. Si la poudre d’Angiolillo a été atrocement employée, elle ne l’a pas été tout à fait en vain. Que dire au contraire du coup de stylet de Luigi Luccheni ? Il n’y en eut jamais de plus stupide. Et les rapports de police racontent pourtant que l’homme ne manque ni de quelque instruction, ni d’intelligence. Mais ce qui distingue l’anarchisme, c’est l’aveuglement volontaire et systématique avec lequel ses adeptes dirigent leurs coups, et frappent. Ils ne visent pas, ils ne tuent pas une personne déterminée ; sinon, comment Luccheni aurait-il pu viser et tuer précisément l’impératrice Elisabeth, c’est-à-dire la femme la plus inoffensive qui fût au monde.

Elle avait un titre éclatant, elle était impératrice ; il n’en a pas fallu davantage pour qu’un anarchiste, ennemi né de toutes les distinctions sociales, ait fixé sur elle sa résolution meurtrière. A défaut d’un grand titre, un grand nom aurait suffi. Les premières dépêches ont raconté que Luigi Luccheni avait voulu d’abord frapper le duc d’Orléans : c’est pour ne l’avoir pas rencontré qu’il s’était rabattu sur l’impératrice d’Autriche. Si un autre souverain, si un autre touriste descendant d’une illustre lignée, si seulement un homme connu pour