De ces deux partis, M. Cavaignac n’a pris ni l’un ni l’autre. Il n’a pas fait la révision, et il s’est appliqué, avant de partir, à la rendre plus difficile. Nous ne pouvons pas l’en approuver. Ce n’est pas que nous éprouvions plus d’indulgence qu’il ne convient pour le gouvernement, ou plutôt pour ce qui en reste, c’est-à-dire, pour MM. Brisson, Sarrien, etc. Si leur sort est ce qu’il est, à qui la faute ? Lorsque le ministère s’est formé, on n’avait pas besoin d’une perspicacité supérieure pour prévoir que l’affaire Dreyfus était une de celles dont il faudrait s’occuper. Cependant, personne alors n’a eu l’air de s’en souvenir. M. Brisson a recruté ses collaborateurs pêle-mêle parmi les partisans timides et parmi les adversaires déterminés de la révision. M. Cavaignac était de ces derniers : on peut bien dire qu’il avait attaché au triomphe de son opinion quelque chose de son avenir politique. Dès lors, il suffisait d’un incident quelconque, et moins grave même que celui qui s’est présenté, pour amener dans le ministère la séparation et l’opposition des deux partis qu’on y avait artificiellement juxtaposés. Au fond, les collègues de M. Cavaignac n’étaient pas fâchés de se débarrasser de lui, et lui-même, en partant, n’était pas fâché d’ajouter quelque chose aux embarras avec lesquels ils allaient se trouver aux prises. De part et d’autre, cela est humain, et peut-être même ministériel, mais non pas très édifiant.
Les vœux de M. Cavaignac se réaliseront-ils, et la révision rencontrera-t-elle des difficultés inextricables ? La crise dans laquelle nous entrons sera-t-elle longue, laborieuse, périlleuse ? Rien n’est plus probable et cela même le devient chaque jour davantage. Il a fallu chercher un nouveau ministre de la guerre. On a songé d’abord au général Saussier. Le général Saussier aurait inspiré une égale confiance à l’armée et au public ; on lui a offert le portefeuille, il ne l’a pas accepté. Pourquoi ? on ne l’a pas dit. Après lui, la même offre a été faite avec plus de succès au général Zurlinden. Le général Zurlinden a été déjà ministre de la guerre, et il sait un peu par conséquent ce que c’est que la politique. On devait croire qu’en acceptant de succéder à M. Cavaignac, qui s’en allait parce qu’il ne voulait pas la révision, il était, lui, disposé ou résigné à l’ouvrir. Sinon, que venait-il faire dans le gouvernement ? Il est à présumer que celui-ci ne l’avait pas appelé pour lui donner une nouvelle consultation sur le dossier, et que l’état actuel de ce dossier, quel qu’il fût d’ailleurs, ne lui paraissait plus une raison suffisante d’écarter la révision. Mais puisque le général Zurlinden ne l’avait pas compris, pourquoi ne le lui a-t-on pas expliqué ? C’était le cas, ou jamais, de dissiper les équivoques. On s’en est bien