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SOO REVUE DES DEUX MONDES. — A partir d’aujourd’hui, lui dit durement la jeune fille in- dignée, tout ce que tu voudras... excepté me parler comme tu m’as parlé... Je ne dis pas de toi, qui es si au-dessus de moi, mais, pas même de mes pareils, je ne dois entendre une chose qui ne peut se dire devant ce pauvre vieux... Et elle montrait oncle Mechelia. André sentit en plein cœur la force de cette brusque leçon, et il répondit à Sotileza : — Tu n’as que trop raison. J’ai agi comme un brutal, parce que... je ne sais pas pourquoi. Pardonne-moi. Mais, tout en s’exprimant ainsi, il éprouvait en lui-même un autre sentiment. C’est dans de pareils échecs que se montre sur- tout la vanité des jeunes gens, et celle d’André était blessée à vif, tant de l’échec en lui-même que de se le voir infliger par une femme qui, bien que résolue à le repousser, était à son sens « obligée » de le faire d’une manière moins brutale; et aussi parce qu’il lui était difficile d’accorder ce dédain si crûment exprimé avec le plaisir que cette belle dédaigneuse, une heure aupara- vant, montrait à se laisser emporter dans les bras du monstrueux Muergo ! Cependant Sotileza, sans plus donner désignes de son indigna- tion, s’était mise à « enlever la nappe » et rangeait dans le panier les couverts et les restes du déjeuner. Ensuite elle réveilla les dor- meurs; le vieux en le secouant doucement, et ^luergo en lui lan- çant à la tête l’eau qui était restée dans la jarre. Ce dernier se dressa en poussant un mugissement, tandis que l’autre s’étirait, bâillait, se frottait les yeux. Et comme l’horizon s’obscurcissait de nuages et que le vent du Sud fraîchissait, tous se hâtèrent de retourner à la plage, la moitié au moins de l’après-midi étant écoulée. Personne ne s’était souvenu de Cote. Comme s’il s’attendait à cet oubli, il s’était couché, pour dormir tout à son aise, sur la voile pliée au fond de la barque, où grouillait, à demi plongée dans l’eau qu’on y avait recueillie à cet effet, toute la pêche de la matinée. Il fallut des cris nombreux et bruyans poussés du ri- vage pour réveiller Cole, mais à la fin il ouvrit les yeux. Il releva l’ancre et approcha la barque, mais fort peu, car le ressac était plus fort que le matin, attendu que le vent était plus vif et que la marée montait déjà. Comme il n’était pas aussi facile de sauter du sable dans la