Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/517

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SOTILEZA. 511 Anilré, qui l’avait toujours vue froide et impassible, absolue maîtresse de ses impénétrables senlimens, s’étonna de cet écrou- lement subit et inespéré d’une si grande force, l’interpréta suivant ses désirs, et sentit que la solidité de ses projets était aussi ébran- lée. Misérable fragilité humaine !... Mais il venait de jurer que sa conduite serait honnête, et, s’armant de volonté pour tenir son serment, il commença en ces termes: — Silda, cet après-midi-là, je t’ai dit des paroles et je me suis laissé aller à des actes qui m’ont valu une réprimande de toi, dure, très dure!... Au reste, tout de suite, je confesse que ma faute méritait cette punition. Je ne t’avais pas habituée, depuis tant d’années que nous nous connaissons, à concevoir des soup- çons sur mes intentions, ni par une mauvaise parole, ni par l’in- dice d’une mauvaise pensée. En cette maison, tous, et toi la pre- mière, vous m’auriez livré l’honneur endormi pour que je veille sur lui. En ferais-tu autant depuis ce jour-là? Dis-le franchement, Silda. — Non, répondit celle-ci sans hésiter. — Eh bien! c’est cette épine que j’ai là depuis ce moment, So- tileza. Voilà ce qui me meurtrit intérieurement, ce qui m’enlève la nuit le sommeil, le jour le repos ! Je ne veux pas que personne se cache de moi dans cette maison où je suis accoutumé à ce qu’on m’ouvre toutes les portes comme au soleil quand il arrive. C’est à cela que je veux revenir, Sotileza, à ton estime et à la confiance de tous. — Tu n’as perdu ni mon estime, ni la conliance de personne, André; tous savent ce qu’ils te doivent, et moi en particulier; il n’y a pas ici d’ingrats. — Je ne veux pas qu’on m’estime pour mes services, mais pour ma propre valeur, et je sais que je ne vaux pas à tes yeux ce que je valais il y a peu de temps. — A ce compte, André, s’écria Silda avec une chaleur d’ac- cent inaccoutumée, pourquoi n’as-tu pas montré cette valeur en temps utile? Elle t’eût empêché d’agir comme tu l’as fait. — Dans la réponse à cette question se trouve précisément l’excuse de mes actes et de mes paroles, la seule raison que je puisse t’offrir pour recouvrer entièrement ton estime et ta con- fiance. Et tu vois que cette raison, je ne pouvais te la donner devant témoins sans en découvrir la cause, ce qui serait un remède pire que le mal.