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520 REVUE DES DEUX MONDES. Chose extraordinaire que cette jeune fille! Dans la même si- tuation où elle avait dompté les élans passionnés d’André par des paroles sceptiques et une contenance dédaigneuse, elle écou- tait les brutalités de Muergo le sourire sur les lèvres et la joie dans les yeux. — Ecoute, dit-elle à l’animal dont la crinière et le vêtement brillaient d’écaillés de sardines qu’il venait d enlever du filet de la barque au retour de la mer, quand tu mettras tes habits, le jour où tu les étrenneras, viens ici au galop pour que je les ar- range sur toi auparavant. Parce que toi tu ne connais rien à ces élégances-là. Va, tu seras gentil, Muergo! — Crédié! s’écria celui-ci en contemplant l’expression joyeuse de Sotileza... Plus que les Saints Martyrs, le Chapitre et tout le tremblement! mais pas tant que toi, Sotileza... Crédié! Parce que toi, tu es plus belle à voir que toute la chrétienté, même quand elle a le grand pavois... Tu n’as pas sous la main quelque mor- ceau de lard? Tandis que Muergo bramait ainsi, ses larges pieds nus cloués sur le sol, les bras pendans, les coudes en dehors, la casquette sur la nuque et les crins sur les yeux, il commençait à faire nuit dans le logis. Pour ce motif, sans d’ailleurs le prendre comme prétexte, Sotileza laissa Muergo dans cette altitude, la parole embourbée dans la caverne de sa bouche, et alla dans la cuisine allumer la chandelle. En en sortant, elle regarda dans le vestibule et vit oncle Me- chelin appuyé contre la porte de la rue. Elle l’appela pour lui dire que son neveu le cherchait. La figure de Muergo et certaine secousse de ses épaules voû- tées montrèrent qu’il était très contrarié du retour de Sotileza avec son oncle. En d’autres temps, le joyeux marin eût été fort ému par la nouvelle que lui donna Muergo quand il fut devant lui. Mais à présent, sans vigueur pour lutter personnellement dans ces nobles batailles entre les deux Chapitres rivaux, et chargé d’infirmités qui lui étaient l’enthousiasme et même la curiosité, il n’attacha qu’une médiocre importance à l’événement annoncé par son neveu. Pourtant il ne laissa pas de lui conseiller de ne pas aller aux régates, s’il avait le moindre amour-propre de rameur, parce qu’il était évident que ce serait le Chapitre d’En-Haut qui gagne- rait. Muergo s’entêta en faveur de celui d’En-Bas, se souciant