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L’INDIVIDUALISME

ET

LE SENTIMENT SOCIAL EN ANGLETERRE

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Le mot d’individualisme est pris dans des acceptions très diverses, parfois opposées, et il importe de s’entendre sur la valeur de ce terme. L’individualisme dont nous voulons parler ici pourrait se définir, au point de vue de la psychologie, le penchant à développer en soi, avec le plus d’intensité possible, et à faire dominer au dehors, avec le plus d’extension possible, sa propre individualité. Or, ce qui constitue surtout l’individu, c’est une énergie de volonté et d’activité débordante, qui se pose devant autrui avec une indépendance fière, avec un esprit de lutte et de « combativité, » refusant toujours de céder et prétendant toujours vaincre. Cette forte personnalité entraîne nécessairement une conscience non moins forte de son moi et un sentiment parallèle de complaisance en ce moi. Elle entraîne aussi un sentiment profond de la responsabilité personnelle, l’habitude de compter sur soi et de ne répondre qu’à soi-même de ses actes. Sous certains rapports, tel néo-Latin indiscipliné et frondeur peut sembler plus individualiste que l’Anglo-Saxon ; mais une volonté vraiment énergique n’exclut pas l’obéissance à la règle, qui, tout au contraire, exige la maîtrise de soi ; et d’autre part, indiscipline, mobilité, facilité à l’oubli de la règle, difficulté de fournir une obéissance soutenue et patiente, habitude de compter sur autrui, de songer toujours à autrui, de se décharger au besoin sur autrui de sa responsabilité propre, tout cela ne constitue pas un individualisme positif, fondé sur la force et l’énergie personnelle ; c’est plutôt cet individualisme négatif, par manque de volonté et