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ditions de la moralité et celles du droit sont généralement représentées sur le modèle de la société anglaise ; si elles sont généralisées par quelque esprit plus synthétique, elles deviennent les conditions de l’évolution de la vie, ou, en d’autres termes, les moyens par lesquels l’individu s’adapte à son entourage. Au delà, pour les besoins supérieurs de l’esprit et pour les aspirations de la poésie intérieure, s’étend la sphère de l’inconnaissable, qui est celle de la religion. Mais science et religion resteront à côté l’une de l’autre sans se confondre ; l’une demeurera toute positive, l’autre sera une foi individuelle ou collective. L’esprit anglais n’éprouve ni le besoin de supprimer, par une logique à outrance, le second terme du problème ultime, ni le besoin de ramener, par un effort de métaphysique transcendante, les deux termes à une foncière unité : il s’oppose ainsi tout ensemble à l’esprit français et à l’esprit allemand.


V


Nous venons de rendre assez justice aux qualités psychologiques et morales des Anglo-Saxons pour avoir le droit d’ajouter qu’elles sont loin d’être la cause unique des succès de l’Angleterre. Celle-ci a profité des circonstances toutes matérielles qui étaient à son avantage, des « accidens heureux » dont parle Darwin. Ce n’est pas la moralité anglaise qui fait que, quand on découvrit les emplois industriels de la houille, l’Angleterre était précisément la terre la plus riche en mines de houille. Ce n’est pas la moralité anglaise qui mit les Îles Britanniques à l’abri de toute crainte sérieuse d’invasion et les dispensa de grandes armées ; c’est la « ceinture d’argent » que leur a faite la mer. Ce n’est non plus la moralité anglaise qui, comme le croit M. Demolins, a fini par rendre la Grande-Bretagne pacifique, mais c’est l’intérêt industriel et commercial. Si l’Angleterre n’entretient qu’une petite armée, elle n’en dépense pas moins énormément pour ses soldats ; de plus, elle accroît sans cesse une flotte formidable, qui lui coûte près de 700 millions par an.

Enfin, si l’Angleterre est aujourd’hui « stable et progressive, » si elle accomplit son évolution sans révolutions, elle fut jadis comparable au continent pour le despotisme des rois, pour la servilité et la vénalité du peuple ; et n’est-ce pas la Révolution anglaise qui, la première, donna l’exemple d’une nation décapitant