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vivant dans le jeu et la débauche ; ivrognerie du vin de Porto dans les classes riches ; chez les pauvres, ivrognerie du gin et des autres liqueurs fortes ; mariages sans garantie et parfois simulés ; spectacles immoraux et cruels, littérature la plus immorale de l’Europe[1]. » Au XIVe, au XVIe et au XVIIIe siècle, les Anglais étaient pourtant les mêmes « dolicho-blonds » qu’ils sont aujourd’hui ; ils avaient aussi le même tour de volonté opiniâtre, les mêmes tendances « individualistes ; » d’où vient donc, comme le demande M. Novicow, qu’ils avaient à cette époque tant de défauts, dont ils se sont débarrassés en très grande partie, et qu’ils manquaient alors de tant de qualités qu’ils possèdent maintenant ?

La crise morale et la rupture d’équilibre dans les consciences n’est pas particulière à notre pays : elle existe aujourd’hui en Angleterre comme en France. Ouant au sentiment religieux, jadis si intense, il va diminuant en Angleterre comme ailleurs. Le protestantisme libéral tend à s’absorber dans la philosophie pure. M. Hamerton cite des exemples de clergymen anglicans qui ne croient ni à une déité pensante et consciente, ni à l’immortalité véritable de l’âme, et qui cependant concilient la religiosité avec cette extrême liberté d’interprétation. C’est dans le domaine religieux, selon M. Hamerton, que l’Anglais, ordinairement sincère, peut mériter le reproche d’une certaine hypocrisie, surtout de la part des nations qui, comme la nôtre, ne veulent admettre aucun milieu entre croire et ne pas croire. La franche incrédulité va d’ailleurs en augmentant. En 1851, on avait entrepris le recensement des fidèles; on trouva qu’un tiers seulement suivait, avec plus ou moins d’assiduité, les exercices du culte ; les deux tiers s’abstenaient totalement[2]. Parmi les vrais fidèles, ce sont les dissidens qui montrent le plus de ferveur ; si la religion officielle possède encore aujourd’hui la majorité des croyans. il est probable que, dans une trentaine d’années, il n’en sera plus de même. Le nombre des incrédules, d’une part, des dissidens, d’autre part, l’emportera énormément.

La criminalité n’augmente pas en Angleterre autant qu’en France, grâce à un meilleur équilibre social, à un sentiment plus intense de la responsabilité individuelle et collective, du respect

  1. Histoire générale, Paris, Colin, 1896. t. VII, p. 862-873.
  2. La ville de Londres est d’ailleurs tellement grande et les temples sont relativement si peu nombreux qu’il est impossible au peuple, le voulût-il, de s’y montrer assidu.