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Simancas, les autres des Archives de l’Académie d’histoire de Madrid ou de collections particulières. Un éminent écrivain espagnol, M. Rodriguez Villa, les a résumés et commentés dans un remarquable ouvrage qui donne, si je puis dire, le dernier état de la science sur cette question, et qui contredit complètement les opinions de M. Bergenroth. Le nouvel historien, d’une part, apporte au procès des élémens jusqu’alors inconnus, de l’autre il explique différemment ceux qui étaient déjà au dossier. Son récit très circonstancié, solidement étayé de preuves, maintient, dans son ensemble, celui de la tradition et dégage Ferdinand le Catholique aussi bien que Charles-Quint des imputations aventurées dont on avait chargé leur mémoire. Entre temps M. Gachard, dans une monographie, avait manifesté des tendances analogues ; et de plus une brochure substantielle de M. de la Fuente avait péremptoirement démenti les sentimens hérétiques attribués à la reine de Castille. M. Villa, tenant compte de ces travaux et muni, sur tous les points, d’un riche contingent d’informations inédites, était en mesure de se prononcer en pleine connaissance de cause. Il l’a fait avec un talent auquel nous sommes heureux de rendre hommage. Le moment est donc venu pour la critique française de reprendre cet épisode et de l’apprécier d’après les documens produits et les opinions diverses.

Les faits sont d’ailleurs fort intéressans à un double titre : d’abord, par leur caractère romanesque et bizarre, ensuite par leurs relations intimes avec les événemens politiques qui, à la fin du XVe siècle et au début du XVIe, ont changé la forme intérieure et l’action diplomatique de la monarchie espagnole. Nous n’aurons pas évidemment ici à étudier l’œuvre unitaire accomplie par Ferdinand et Isabelle, non plus que les conceptions idéales et les entreprises du grand rêveur qui s’est appelé Charles-Quint : mais nous devons rappeler — c’est notre sujet même — les circonstances qui ont modifié les destinées de la Péninsule : l’histoire de Jeanne la Folle se confond en effet avec les origines de cette évolution qui certainement n’eût pas eu lieu si la fille de Ferdinand et d’Isabelle, reine exclusivement nationale, eût paisiblement recueilli les royaumes dont elle était l’héritière. C’est par suite de ses funestes aventures que l’Espagne, entraînée en dehors de sa sphère d’action au profit d’intérêts étrangers, est devenue pour ainsi dire une fraction d’un empire cosmopolite, et s’est épuisée sur tous les champs de bataille de l’Europe sous la