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s’arrêter davantage devant les remontrances que Bernardo Boyl lui faisait entendre, il conclut audacieusement, le 5 avril, au nom du Roi Catholique, un traité contraire au texte et à l’esprit des directions qu’il avait reçues. Les clauses de cet acte rétablissaient le statu quo contre lequel Ferdinand protestait par les armes, et remettaient à l’archiduc, c’est-à-dire à la maison d’Autriche, une partie des territoires revendiqués par le souverain espagnol. De telles combinaisons étaient si évidemment malavisées que Gonzalve de Cordoue refusa d’y souscrire sans même attendre la réponse de son maître qui les désavoua dès qu’il en eut connaissance. En quoi l’un et l’autre furent bien inspirés, car le grand capitaine, continuant les hostilités, battit successivement le duc de Nemours à Cérignole et le comte d’Aubigny à Séminara. Sa victoire plus éclatante encore au pont du Garigliano et peu après la conclusion du traité de Blois qui attribuait définitivement le royaume de Naples au roi d’Aragon, démontrèrent péremptoirement la maladresse ou la perfidie de l’archiduc. Ferdinand se contenta de lui adresser quelques reproches paternels sur l’incorrection de sa conduite, mais n’oublia jamais cet épisode : à ses yeux, désormais, son gendre était jugé.


IV

Pendant que s’accomplissaient ces événemens, Jeanne était restée en Espagne, désespérée de n’avoir pas suivi son mari. Malgré les infidélités et le caractère violent du prince, elle l’aimait passionnément : l’absence était pour elle le plus cruel supplice et sa douleur se manifestait tour à tour par un sombre accablement et par une agitation fébrile, parfois même furieuse. Cette idée fixe, tenace et ardente, et les crises qui en étaient la conséquence provoquèrent autour d’elle les plus vives inquiétudes. Ses parens, dès longtemps en défiance, ne pouvaient plus se faire illusion : Isabelle, qui souffrait déjà de la maladie dont elle devait mourir l’année suivante, ressentit violemment cet âpre souci. Nous avons un irrécusable témoignage des angoisses de la famille royale et de l’état étrange de la princesse dans une consultation médicale publiée par M. Villa : ce document est conçu, selon l’usage, en termes discrets, mais, sous le voile des expressions générales et respectueuses, le sens apparaît avec clarté. Ces crises n’étaient pas nouvelles puisque les médecins de la cour en parlent sans surprise ;