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brûler non seulement les caricatures hollandaises et protestantes qui l’attaquaient, comme les Héros de la Ligue ou le Calendrier royal, mais encore celles qui le défendaient, comme le Jeu de l’Hombre des Princes de l’Europe. Il n’entendait pas être défendu par des magots. Tels, les souverains qui ne veulent pas d’hommes petits et laids dans leur garde. George II exécra toujours Hogarth pour sa planche la Marche à Finchley, où son armée était quelque peu maltraitée. L’empereur actuel d’Allemagne fut parfois exaspéré par le Punch. Un jour, en 1892, à la suite d’une caricature de M. Linley Sambourne, il ferma la porte du palais de Berlin et de Potsdam au satirique anglais qu’on y recevait depuis quarante ans. À son exemple, l’Impératrice Frédéric, le prince Henri de Prusse, et tous les princes de la famille royale consignèrent le bouffon. Celui-ci s’en vengea. Il représenta l’empereur devenu un enfant capricieux, vagissant au milieu de ses tambours et de ses soldats de plomb et criant :


Take the nasty Punch away ;
I won’t have any Punch to-day.


Mais la colère de l’enfant fut courte. Bientôt il redemanda son polichinelle… Seulement, pour sauver les apparences, le journal arrivait de Londres, chaque semaine, dans une enveloppe close, affectant une allure officielle. L’empereur l’ouvrait de ses propres mains et plaçait le dangereux libelle dans un coin de sa bibliothèque où personne ne s’avisait d’aller le chercher[1]. — Plus susceptible encore fut le Mikado du Japon. Des dessins de Kio-Saï l’avaient amusé. Il eut l’imprudence de faire venir le caricaturiste et de lui demander sa propre « charge. » Kio-Saï s’assit et gravement, du bout de son pinceau, le représenta recevant une correction de l’ambassadeur d’une puissance européenne. On le mit en prison.

Mais ces colères ne prouvent pas que la caricature joue en politique le grand rôle qu’on lui attribue. Elles sont une marque du dépit des victimes, non de l’efficacité de l’arme. Les caricaturés se sont sentis blessés : l’étaient-ils réellement, et n’est-ce point un peu là l’histoire de ce soldat de Tolstoï, au siège de Sébastopol, qui reçoit à la tête une pierre, s’évanouit, se réveille et se croit perdu. Mais il n’est même pas blessé. Il est sauf, tandis que son

  1. M. H. Spielmann, History of Punch.