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Biélé-Ouli, mais moins important. Et l’éternelle gorge se déroule toujours. Enfin, nous franchissons un autre petit affluent de la Gouldcha, le Targalak, et nous voyons les parois de notre prison s’écarter devant nous. C’est l’entrée d’une plaine où nous devons camper. Le chameau chargé de la yourte nous y a précédés. Mais où trouver cette yourte ? Il est huit heures du soir et il fait nuit noire. J’ai pourtant fait diligence, et je précède depuis plus d’une heure, avec Balientsky et le djiguite Othman, le convoi, sur lequel nous avons pris les devans. Il y a des étoiles, mais pas la moindre lune : tout ce que nous entrevoyons, c’est que la Gouldcha se divise en plusieurs bras, et que, de jour, elle peut être guéable. Mais l’obscurité ne nous permet même pas de voir où sont ces divers courans, dont nous entendons le bruit sur les rochers. Le djiguite nous dit que la yourte doit être quelque part sur l’autre rive ; et le sentier disparaît après s’être ramifié en plusieurs branches qui toutes se perdent sur les galets dans la direction de la rivière. Nous jugeons seulement qu’il faut passer de l’autre côté. C’est complètement à tâtons que nous nous engageons dans l’eau profonde et dont la température est glaciale. Le thermomètre, consulté à la lueur d’une allumette, indique 4 degrés au-dessous de zéro. L’agitation de l’eau l’empêche seule de se congeler. Nous ne voyons pas l’autre bord, ni la place du gué, et nous nous en remettons entièrement aux chevaux, qui perdent pied plusieurs fois, et nagent dans un courant violent. Enfin nous abordons sur une rive qui, inondée par les eaux, à certaines époques, n’est en réalité qu’une partie émergée du lit du torrent. Elle est couverte de grosses pierres roulées, où la marche nocturne est bien incommode. En outre nous reconnaissons bientôt que nous avons abordé tout simplement dans une île et il nous faut encore successivement traverser deux autres bras de rivière semblables au premier. Enfin nous sommes de l’autre côté du torrent : nous tirons plusieurs coups de fusil, et un feu que nous apercevons devant nous nous indique la direction de la yourte, que nous atteignons au bout de deux kilomètres encore. Elle est au bord de la rivière, sur un banc de sable où croissent quelques peupliers énormes. Je constate que, tout près de là, un très gros ruisseau, qui constitue une part importante du volume des eaux de la Gouldcha, sort tout formé, avec un grand bruit, d’une caverne que je me propose d’explorer le lendemain matin. Cet endroit doit être un lieu de séjour