— ce qui n’empêche pas de le disséquer et de l’étudier, — mais une dernière pensée, impénétrable pour nous, celle d’un homme jaune, mort dans un état d’âme que nous ne pouvons pas comprendre. Nous ne concevons pas ce qu’est cet état chez un fataliste musulman, et un Musulman de race jaune, lorsque sa vie s’éteint dans des conditions qui seraient pour nous le désespoir. Ce n’est pas la grande envolée, confiante et enthousiaste, de l’âme du Musulman arabe : c’est plutôt une sorte d’angoisse résignée et sceptique que nous ne connaissons pas. Mais, quelle que soit la nuance de ce sentiment suprême, c’est une chose digne de pitié et de respect que la façon dont sont morts ces gens… Que dirais-je à leur place ? Ici une nouvelle réflexion, plus égoïste, se mêle à la première… Dans quelques instans, peut-être, mon propre crâne à moi… Oui, certes : il suffit pour cela d’un faux pas. C’est moi qui fournirai peut-être un objet d’étude aux ethnographes de l’avenir. Mon crâne à moi, que je protège avec tant de soin et dans lequel se sont agitées, à travers des milieux si variés, tant de pensées diverses, parmi lesquelles il en est dont j’ai eu la sottise d’être fier, ou auxquelles j’ai commis l’erreur d’attacher de l’importance, deviendra une simple pièce de collection… Et on le traitera cavalièrement, tout comme je traite ceux-là… Bien heureux encore s’il est assez dur et assez fortement soudé pour se conserver aussi bien que ceux des Mongols qui m’ont précédé… Mais ce savant futur, Allemand, Russe ou Suédois, — comme par exemple mon ami Sven Hedin qui en ce moment même suit mes traces à quinze jours de distance, — qui ergotera en maniant mon crâne sans que je puisse répondre, et qui, pour comble d’outrage, le rejettera peut-être avec dédain en le déclarant inférieur aux voisins, est le dernier des impertinens et des malotrus… Mais alors… moi aussi ?… Non, décidément, mon procédé n’est pas correct. Il serait certainement réprouvé par le code du savoir-vivre, si celui-ci l’avait prévu et s’appliquait sur le Toit du Monde… J’interromps ma récolte, dût-on m’en blâmer plus tard en Occident.
Une autre considération, à laquelle mes confrères les naturalistes ne me reprocheront pas d’avoir cédé, m’empêche de la reprendre. Recueillir ces spécimens présente peu d’intérêt au point de vue anthropologique, car la détermination ethnographique en est impossible. Sur ce plateau central de l’Asie, creuset des races anciennes, où se sont confondus tant de types