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de l’azote avec les métaux s’accomplit à température élevée et donne naissance à des azotures de magnésium, de titane, de strontium, de baryum. L’argon n’engendre dans ces mêmes conditions ni dans aucune autre des argonures métalliques. Il se montre donc également incapable de se combiner avec un élément électro-négatif par excellence, comme l’oxygène, et avec un type électro-positif, comme le magnésium. Les agens les plus énergiques qui ont raison des corps les plus réfractaires n’ont pas de prise sur lui. Les persulfures de sodium et de calcium qui attaquent l’or à chaud, le chlore naissant de l’eau régale récemment préparée qui le dissout à froid, la chaux sodée au rouge qui vient à bout du platine, sont sans action sur l’argon. On peut chauffer au sein de ce gaz le tellure, le potassium et le sodium jusqu’à distillation, sans que seulement leur éclat soit altéré. Le plus puissant des réactifs, le fluor lui-même, ne peut triompher de son indifférence. M. Moissan a vainement soumis à l’influence de l’effluve électrique un mélange de fluor et d’argon. C’est cette incapacité extraordinaire à former des combinaisons qui a valu au nouveau gaz sa désignation. Un des membres de l’Association britannique devant laquelle lord Rayleigh exposait pour la première fois l’histoire de sa découverte, interrompit l’orateur pour lui demander s’il avait découvert aussi le nom qui convenait à ce nouveau corps. Les savans anglais n’avaient pas attendu cette interpellation pour se mettre en mesure : déjà ils avaient heureusement fixé leur choix sur le mot d’argon qui, en grec, signifie « paresseux, inactif. »

On a signalé cependant quelques infractions à cette règle d’indifférence chimique de l’argon. M. Berthelot, en soumettant à l’effluve électrique un mélange du nouveau corps avec la benzine, dans le même appareil où déjà il avait fixé l’azote sur la benzine, l’essence de térébenthine, le méthane, l’acétylène, la dextrine, etc., a constaté une absorption du gaz et la transformation de la benzine en une sorte de masse résineuse ; il pense avoir produit une combinaison de l’argon. M. Ramsay croit plutôt à une simple dissolution ou à une rétention mécanique du corps dans le vernis benzinique : ce qui est certain, c’est que les produits formés colorent l’effluve d’une teinte verte magnifique analogue à la lumière des aurores boréales et montrant d’ailleurs des raies spectrales très voisines. Avec le sulfure de carbone, au lieu de la benzine, l’absorption est plus considérable et offre plus nettement les traits d’une véritable combinaison. Enfin, MM. Troost