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d’une Convention ou du couteau de la guillotine. Si vous êtes jamais les maîtres, vous aurez le sort de vos aînés de 1793.

LE COLLECTIVISTE. — Comment osez-vous nous comparer à ces faux grands hommes de 1793, avortons plutôt que géans de la Révolution, qui n’ont su que restaurer la propriété en la transférant des nobles aux bourgeois, que fortifier l’Etat en faisant passer le pouvoir du roi aux assemblées, tandis que, en supprimant la propriété, nous comptons abolir l’Etat, en tant qu’État, et substituer, pour jamais, au règne d’une classe le règne de la collectivité.

L’ANARCHISTE. — Prenez garde de faire comme les révolutionnaires du tiers-état. Au lieu d’abolir la propriété, il se pourrait que vous n’aboutissiez, vous aussi, qu’à la faire passer d’une classe à une autre. La plupart de vos adhérens n’en demanderaient pas davantage. Prenez garde de n’opérer, vous aussi, qu’un transfert de richesse et de pouvoir. Quant à supprimer l’État, votre principe, au contraire, vous condamne à tout absorber dans l’Etat. Vous pourrez bien le baptiser d’un autre nom, l’appeler collectivité ou pouvoir social ; le nom ne fait rien à la chose. Bon gré, mal gré, il vous faudra étendre à l’infini l’action de l’État, faire pénétrer sa main partout, dans la vie privée non moins que dans la vie publique, car ce qui est, aujourd’hui, du domaine privé sera du domaine public. De quelque titre que vous le décoriez, votre république collectiviste enfantera le plus despotique des gouvernemens, parce qu’étant le plus absorbant, il sera le plus absolu. Votre démocratie collectiviste sera, par définition, un souverain omnipotent qui possédera tout et qui réglementera tout. Vis-à-vis de cette autorité publique illimitée, que deviendront les droits des citoyens ? Le joug social sera plus pesant que jamais. Savez-vous à quoi votre collectivisme aboutirait ? A une bureaucratie et à la plus vexatoire des bureaucraties. Avec la production universelle aux mains de l’État, il vous faudra ériger des ministères du travail, des bureaux d’agriculture, des divisions et sous-divisions d’industrie, des inspecteurs, des contrôleurs, des surveillans de toute sorte, tout un fonctionnarisme innombrable et omnipotent. Et que m’importent, à moi, le nom ou l’uniforme de vos fonctionnaires ? En quoi me sentirai-je plus libre parce que vous les appellerez délégués ou préposés, au lieu de les nommer ministres ou directeurs ? Quand on devrait les tutoyer et leur parler le chapeau sur la tête, comment respirer, librement, dans une société et, du haut jusqu’en bas, tout sera réglé par décret ? En vérité, je