physique, une chimie, une physiologie ? Y en aura-t-il jamais une ? Avons-nous là les élémens d’une science véritable ? Je n’en sais rien. En tout cas, si elle est née, cette science sociale, elle est dans l’enfance. Nos sociologues ne sont même pas d’accord sur la définition et sur la nature des sociétés humaines. Pour les uns, c’est un organisme, analogue aux êtres vivans ; pour les autres, non. En attendant que les savans s’entendent, votre collectivisme n’a de scientifique que les prétentions et les ambitieuses formules. Loin d’être conforme à la science, il est contraire à toute méthode scientifique ; car toute science est fondée sur l’observation des faits ; et le collectivisme est un système de cabinet, combiné à loisir par des théoriciens qui prétendent plier l’homme et la nature humaine à leurs doctrines, au lieu de modeler leurs doctrines sur l’homme et sur la nature humaine.
LE COLLECTIVISTE. — Ainsi vous niez le Progrès et l’Evolution.
L’ANARCHISTE. — Pas du tout ; c’est vous plutôt qui niez le Progrès et l’Evolution ; c’est vous qui prétendez enchaîner l’humanité et l’arrêter dans sa marche en avant. Progrès et Collectivisme, ou si vous aimez mieux, Evolution et Collectivisme sont deux termes difficiles à concilier. Le collectivisme serait une camisole de force qui paralyserait tout libre développement des sociétés. Votre prétention n’est-elle pas de couler l’humanité dans un moule dont elle doit garder à jamais la forme ? Et vous ne sentez pas que cela est contraire à toute idée d’évolution ? Si nous parlions en philosophes, je vous dirais que l’évolution implique le relatif, et que vous rêvez d’absolu, ce qui est contraire à toutes les données de la science. Vous vous flattez de fabriquer, de toutes pièces, sur un modèle imaginaire, une société parfaite, définitive, qui dure autant que l’humanité. Faut-il vous prouver que pareil songe se heurte à la notion même du progrès et de l’évolution, à la notion moderne du devenir universel, comme disent les philosophes, à la notion même de la vie ? Votre République collectiviste serait, à jamais, figée en des formules invariables, enserrée en des cadres rigides. Une société pétrifiée ou momifiée, une sorte de Chine socialiste, avec des lois inflexibles, des coutumes immuables et une oligarchie de mandarins, tel serait, en moins d’un siècle, l’État collectiviste. Tout mouvement, parlant tout progrès, serait suspendu. Sous prétexte de refaire la société sur un plan rationnel, vous prétendez enchaîner le cours de l’histoire et dire à l’humanité : Tu n’iras pas plus loin. Vous arrêtez la