Jeanne : « On la tourmente à ce sujet, nuit et jour, » écrivait le cardinal Adrien : c’était là, en effet, une question de vie ou de mort pour l’insurrection. « Si on pouvait, disait encore le régent, avoir ne fût-ce qu’une seule signature de Son Altesse, il y aurait dans le royaume de plus grands troubles que jamais. » Il s’ensuivit que la captivité de Jeanne ne fut pas moins pénible qu’auparavant. L’infortunée n’avait fait que changer de maîtres. De plus, ses nouveaux gardiens étant moins expérimentés et moins disciplinés que les autres, le désordre de sa maison était au comble : sa situation morale souffrit à la fois de leurs négligences et de la pression rigoureuse que la junte, exaspérée d’une résistance qui lui était funeste, prétendait exercer sur sa volonté. Ses caprices devinrent de plus en plus fréquens et violens. Elle se livrait notamment à des écarts de régime vraiment dangereux ; tantôt elle passait trois jours sans manger, tout en voulant garder auprès d’elle des plats remplis de viandes bientôt corrompues, tantôt elle dévorait en un seul repas les alimens qu’elle avait repoussés pendant un long jeûne. On exprimait de toutes parts dans les lettres adressées à don Carlos des craintes plus ou moins sincères pour la vie de la recluse ; le connétable de Castille écrivait : « Son Altesse est livrée à la soldatesque, à des barbares qu’elle n’a jamais vus ni connus et qui l’effrayent, chaque jour, les armes à la main, pour la contraindre à signer. » Ce tableau était un peu forcé peut-être, mais la situation exigeait évidemment une solution prompte, d’autant que le pays était bouleversé, l’administration impossible, la junte impuissante à gouverner et paralysant l’autorité royale : l’Etat semblait à la veille de sa ruine. Les ministres du Roi prirent alors la résolution d’engager énergiquement la lutte, et puisque don Carlos, absorbé par les soins de sa candidature à l’Empire, ne pouvait venir lui-même diriger ses affaires en Espagne, le connétable de Castille convoqua, de son chef, les contingens féodaux, et, d’accord avec le comte de Benavente, le marquis d’Astorga et le comte d’Albe, décida de reprendre Tordesillas.
Les nouvelles qu’il recevait de cette ville lui démontraient d’ailleurs l’urgence de l’action et le grand avantage de profiter des tyranniques instances de la junte auprès de la reine pour se présenter en libérateur d’une princesse opprimée par des factieux. Il savait bien au surplus que Jeanne, malgré les importunités des rebelles, ne le considérait point comme un ennemi : elle avait