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en résulte que, sous ce climat si uniformément chaud et humide, le blanc s’anémie et se débilite. En outre, il est en proie au paludisme et à la fièvre jaune. La mortalité qui sévit sur les Européens est telle qu’elle a fait donner à la côte de Guinée le nom de « Tombeau des Blancs » (White man’s grave), et que les navires qui font habituellement le commerce dans ces parages sont appelés vaisseaux-cercueils (coffin-squadron). En présence de conditions climatologiques aussi funestes, pourquoi l’Angleterre irait-elle, sans nécessité reconnue, occuper toute l’étendue de ce pays ? Ne devait-elle pas être satisfaite d’avoir mis la main sur les meilleurs |et les plus riches morceaux — la Gambie, Sierra-Leone, la côte d’Or, Lagos, les embouchures du Niger — et d’en détenir les points les plus importans soit au point de vue politique soit au point de vue commercial ? Qu’avait-on besoin encore d’occuper quelques localités perdues de la côte des Esclaves et de la côte d’Ivoire, pays peu peuplés, contigus à des États indigènes comme le Dahomey qu’il faudrait réduire et dont le commerce ne pourrait acquérir quelque importance que si l’on s’emparait des régions de l’intérieur ? Certes, il était plus sage de se contenter de développer les ressources naturelles des riches districts dont on était les maîtres et de remettre à plus tard le souci d’administrer des territoires de médiocre valeur.

Ceux qui raisonnaient ainsi étaient loin de se douter qu’allaient entrer en scène des concurrens inattendus ; que le génie colonial de la France, en ce moment assoupi, allait se réveiller soudain ; que l’Allemagne, elle aussi, allait avoir des velléités d’établissemens lointains ; et que ces deux puissances allaient disputera l’Angleterre le monopole du commerce de l’Afrique occidentale. Mais qui aurait pu prévoir alors les événemens qui devaient modifier si profondément l’état des choses à la côte de Guinée ? En 1875, la France n’avait sur ce littoral aucun poste où flottât son pavillon. Nous avions bien, il est vrai, en vue d’assurer des points de ravitaillement à nos escadres qui donnaient la chasse aux négriers, acquis, en 1843, Grand-Bassam et Assinie sur la côte d’Ivoire, et en 1861, Whydah sur la côte des Esclaves. Plus tard, en 1863, nous avions bien placé sous notre protectorat Porto-Novo et obtenu Kotono, en 1868 ; mais tous ces postes avaient été abandonnés après la funeste guerre de 1870. Ce n’est que treize ans après, en 1883, que la France, ayant repris confiance en elle-même et ne voulant plus se laisser hypnotiser par les Vosges,