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nuages s’entr’ouvrant pour laisser voir les collines au-dessous d’eux, tout cela dans une telle gloire d’argent et de pourpre, avec une telle fraîcheur d’atmosphère et de lumière, que d’instant en instant l’œil en ressentait une joie plus frémissante, plus palpable, plus pure. L’âme de Laura chantait et planait, avec la fauvette et l’alouette.

« Puis, quand elle eut dépassé le village, la route monta plus droite encore, dominant l’immense étendue des champs de bruyère et des rochers qui bondissaient au milieu d’eux, pareils à des récifs se dressant dans la mer. Et dans ces champs de blé, plus voisins, qu’étaient-ce donc que ces larges taches blanches sur les sillons récemment creusés ? Mais voici que, s’envolant, une troupe de mouettes se chargea de lui répondre. Et la jeune fille sentit que de leurs ailes éclatantes lui venait la brise marine, et elle se retourna pour regarder encore, au sud-ouest, la pâle ouverture par laquelle passaient les rivières.

« Au-delà de ces champs un bois, un bois dont la vue émerveilla Laura, accoutumée jusque-là aux paysages des régions du Sud. Elle sauta hors de la petite voiture, attacha le poney à une barrière, au bord de la route, et s’élança dans le taillis de noisetiers avec de petits cris de bonheur. Un bois du Westmoreland dans la saison des narcisses, ce n’était rien de moins — ni de plus. Mais pour l’enfant, avec sa jeune passion dans le sang, c’était un rêve, une extase. Jamais elle n’avait vu autant de narcisses ! Ils se répandaient à l’horizon, en bandes, en nappes dorées : et leur folle abondance contrastait étrangement avec l’air, avec le caractère frugal de ces régions du Nord, avec les plaines incultes, les roches nues, et la mélancolie des marais sans arbres. Et puis, quand les yeux s’étaient faits à cette profusion, mille nuances apparaissaient, fines et charmantes ; chaque pied de terrain avait une parure qui n’était qu’à elle.

« Car sous les narcisses se cachait un tapis de violettes, si sombres et si serrées, que c’était leur parfum seul qui les dénonçait : et pendant que Laura était étendue dans l’herbe, s’empressant à les cueillir, elle pouvait apercevoir entre l’or des narcisses, entre les tiges minces des noisetiers, les teintes bleues et grises des montagnes, au loin. Chaque détail de l’admirable ensemble agissait sur les sens jeunes et vifs de l’enfant, éveillant dans son cœur le poème d’un printemps du Nord : d’un printemps tel que seuls le connaissent ces pays de rochers, pur, froid,