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semble que ce soit précisément l’impossible qu’on veuille nous demander. On s’applique avec une déplorable obstination à poser la question sur le seul terrain où nous ne puissions pas nous entendre, alors qu’il suffirait de l’en faire tant soit peu dévier pour que l’accord devînt facile et rapide. Parlons clairement. Veut-on que nous quittions Fachoda ? Nous n’avons jamais dit que nous ne le ferions pas. Nous sommes hommes de bon sens et de bonne foi. Nous comprenons fort bien que la possession de Fachoda n’a pas aujourd’hui grand intérêt pour nous et qu’elle en a un immense pour les Anglais. Nous sommes prêts à faire une concession, pourvu qu’on nous la demande comme telle. Mais non ! On veut nous obliger à reconnaître que nous n’avions pas le droit d’aller à Fachoda, que nous y sommes des intrus, des aventuriers, et cela nous ne pouvons pas le reconnaître, parce que ce n’est pas vrai. Les Anglais sont gens pratiques ; ils n’ont pas la réputation dans le monde d’obéir à des entraînemens irréfléchis ; les moyens leur sont d’ordinaire assez indifférens, pourvu qu’ils obtiennent le résultat. Il dépend d’eux de l’obtenir dans le cas présent. Pourquoi n’adoptent-ils pas les procédés qui sont d’usage entre deux nations et deux gouvernemens amis ? Quand même nous différerions d’avis sur la légitimité ou la non-légitimité de l’occupation de Fachoda par le commandant Marchand, et quand même cette divergence serait entre nous irréductible, devrait-on pour cela en venir tout de suite aux dernières extrémités ? Il s’en faut de beaucoup qu’on ait épuisé les ressources de la diplomatie lorsqu’on n’a pas réussi à se mettre d’accord sur les principes. On cherche alors si on ne serait pas plus heureux dans le domaine des faits ; car, après tout, les faits seuls importent, et où serait le mal quand bien même chacun de nous garderait à part soi son opinion sur l’entreprise si vaillamment conduite à son terme par le commandant Marchand ? Ainsi ont toujours raisonné les Anglais, gens pratiques, nous l’avons dit, gens d’affaires, politiques réalistes, peu enclins à se laisser conduire par l’imagination, affranchis, — ils s’en vantent volontiers, — de la plupart des défauts qu’ils nous attribuent. Et c’est pour cela que leur conduite actuelle nous paraît inexplicable, car elle ne peut logiquement s’expliquer que par de mauvais desseins à notre égard, et nous repoussons cette hypothèse. Mais alors, encore une fois, que nous veut-on ?

Les journaux anglais affectent de dire que, sur tous les points du monde, ils rencontrent l’opposition agressive de la France, et rien, certes, n’est plus inexact ; mais on tourne contre nous toutes les transactions que nous avons faites, toutes les concessions que nous avons