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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/108

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III

Mais, tandis que la Reine lisait son discours, nous étions quelques-uns qui essayions de surprendre sur ses traits les ressorts secrets de son caractère et le mystère toujours redoutable qu’enferme une âme, même d’enfant. Le haut du visage, avec le front étroit, l’arc bien dessiné des sourcils, la fine arête et la ligne correcte du nez, sous l’abondante chevelure qui bouffe, est pour ainsi dire léger et éminemment féminin ; le bas est plus lourd, et en quelque sorte viril : mélange singulier de grâce et d’énergie. La voix, elle aussi, très fraîche et néanmoins très ferme, est en même temps féminine et virile. — Vox Réginæ, disaient le soir les journaux d’Amsterdam. — Cette voix de la Reine, ceux qui l’ont entendue dans l’Église Neuve, l’entendent encore. J’entends encore le ton de suprême autorité dont elle a posé son : « Messieurs les membres des États-Généraux, » appuyant fortement sur toutes les toniques, et détachant les mots, comme un orateur rompu au métier ; la note grave, voilée et attristée qu’elle a trouvée pour dire : « Mon père inoubliable ; » la note vibrante, sonore et pleine, pour dire : « La maison d’Orange ne peut jamais, non jamais ! faire assez pour la Néerlande… » Un Non jamais ! isolé de tout le reste, dont le retentissement allait se prolongeant, et qui n’en finissait plus, et qui, en effet, donnait l’impression de jamais.

Et puis, pour le serment, comme elle a dit : Je jure ! On en était émerveillé : « Je ne croyais pas, m’a confié, à la sortie, un des anciens ministres de la Régence, que l’on pût mettre tant de choses dans : Je jure. » Et il ajoutait, avec cette liberté de langage qui, là-bas, n’exclut point le respect, et sans intention critique : « Son : Je jure ! et son : Non jamais ! une grande artiste ne les eût pas mieux dits. » — Une grande artiste ne les eût pas si bien dits : tout, ici, était d’une reine née reine ; rien d’une reine de théâtre. Mais il est évident qu’il y a dans cette jeune fille plus qu’une jeune fille, que, dans cette reine, il y a une personne, et que, ne fût-elle pas née tout, elle se serait faite quelqu’un.

On a conté sur elle, sur ses caprices et ses colères d’enfant, beaucoup d’histoires, la plupart assez sottes : — Dieu préserve les rois des intempérances du reportage ! — On les a contées, ces histoires, non pas pour lui être désagréable, mais, au contraire, pour prouver que ce n’est point une physionomie banale. Est-il donc