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princesses allemandes qui sont la réserve royale de l’Europe : il proposa et fit agréer à Guillaume III la princesse Emma de Waldeck et Pyrmont, lui donnant ainsi — otium cum dignitate — la paix relative et la dignité de sa fin, et la consolation de survivre en une fille, postérité de Booz et de Ruth, par qui miraculeusement revivaient ses trois fils perdus. L’enfant de sa vieillesse n’avait pas dix ans, quand vinrent pour le Roi les mois de l’interminable agonie, les longs mois du Loo, tout emplis de la mort, et tout glacés par elle, et tout enfiévrés de déraison…

Invinciblement, cette « séance publique et plénière des Etats-Généraux », dans la Nieuwe Kerk d’Amsterdam, évoquait, chez nous tous qui y avions assisté, le souvenir d’une autre séance, lugubre celle-là, tenue à La Haye, par un après-midi brumeux d’automne déjà avancé, la séance du 28 octobre 1890, où le baron Mackay, ministre des Colonies, faisant fonction de président du Conseil et M. de Savornin-Lohman, ministre de l’Intérieur, eurent le douloureux devoir d’annoncer aux Chambres que, d’après l’avis des médecins, la santé du roi Guillaume III était très profondément altérée et que, le Conseil d’Etat consulté, il y avait lieu de procéder conformément à l’article 38 de la Loi fondamentale et de donner un régent au royaume. Une première fois, il est vrai, Guillaume III était revenu des portes du tombeau ; il en était revenu plus jaloux que jamais de sa prérogative souveraine, fort excité et irrité contre ceux des siens qui, en lui tenant de plus près, du même coup touchaient de plus près à la couronne. Mais, à cette seconde attaque, le mal paraissait incurable ou fort long du moins à guérir. La régence provisoire du Conseil d’Etat n’y pouvait pourvoir ni parer. La reine Emma fut proclamée régente. Peu de mois après, le roi mourait. Du grand arbre d’Orange, il ne restait plus qu’un bourgeon. En cette détresse de la maison royale, la Hollande, compatissante et inquiète sur elle-même, adopta sa jeune reine. Et, de par cette adoption tacite, la fille des Nassau devint, sous la tutelle de sa mère et du peuple, la fille de la nation[1].

De là, ce qu’il y a de particulier, de plus chaud et de plus

  1. C’est ce que la Reine elle-même a tenu à constater dans sa proclamation « à Mon Peuple », du 31 août 1898, le jour même de sa majorité :
    « En ce jour si important pour vous et pour moi, j’éprouve le besoin de vous adresser quelques paroles. D’abord un mot de chaleureuse gratitude. Dès ma plus tendre jeunesse, vous m’avez entourée de votre amour. De toutes les parties du royaume, de toutes les classes de la société, des vieux et des jeunes, j’ai reçu toujours les preuves les plus frappantes de votre attachement. Après la mort de mon père bien-aimé, vous reportez sur moi votre amour pour ma maison.
    « Maintenant que je suis prête à commencer la belle et trop lourde tâche à laquelle je suis appelée, je me sens comme portée par votre fidélité… »