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qui, à toutes les époques, ont animé les architectes d’une sorte de méfiance à l’égard des ressources nouvelles créées par la science, et qui les incitent à n’accepter qu’avec une excessive prudence les matériaux que l’industrie s’efforce de leur procurer. Il en existe deux principales. La première repose sur la vieille conception académique, encore si vivace, d’après laquelle le Beau serait une qualité indépendante des circonstances de la production et conforme à un idéal immuable. Nous n’avons pas à la discuter ici. Quant à la seconde, elle provient de la difficulté de trouver du premier coup les meilleures conditions d’emploi d’une substance nouvelle, ce qui explique les longs tâtonnemens par lesquels on passe avant d’en découvrir et d’en déterminer la véritable valeur décorative. En général, pendant cette période d’essais, on se sert de la nouvelle matière comme on eût fait de l’ancienne qu’elle remplace, c’est-à-dire sans tenir compte de la différence spécifique qui distingue l’une de l’autre, et par conséquent en commettant de grossières erreurs. D’autre part, on ne doit pas oublier que cette substance a des qualités expressives qui lui sont propres : c’est comme une langue inconnue dont il faut apprendre la signification, et à laquelle le public doit s’habituer pour en comprendre peu à peu le sens.

M. Sully Prudhomme a fait, à ce propos, une remarque très fine dans son beau volume sur l’Expression dans les Beaux-Arts. Il note ce fait que l’avènement du fer dans l’architecture moderne va fatalement bouleverser les vénérables règles esthétiques qui constituent les dogmes de la religion du Beau telle que l’ont établie les Académies. Son argument est péremptoire. En effet, après avoir constaté qu’en architecture les proportions ont une importance d’autant plus grande qu’elles sont déterminées par la résistance des matériaux, et que cette résistance est en rapport avec leur volume, l’éminent écrivain constate que l’œil humain est habitué depuis la plus haute antiquité au rapport qui existe entre le volume de la pierre ou du bois et leur résistance dans les constructions. Nous sentons proportion ou disproportion selon que la base d’un édifice est plus massive ou moins massive que les parties supérieures ou le sommet. Les bâtimens étant, en général, construits de matériaux homogènes de même résistance, en moellons ou en pierres de taille, du moins à l’extérieur, nous n’y voyons jamais sans inquiétude de grêles colonnes supporter des masses de grande étendue. Quand même nous savons que