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navigateurs portugais ou espagnols des XVe et XVIe siècles qui descendaient sur un rivage inconnu, y plantaient une colonne aux armes de leur roi, l’en déclaraient maître, puis se rembarquaient, et celle qui a réussi à faire, d’une Algérie ou d’une Australie, comme une prolongation de la métropole. Dans quelles limites l’Egypte a-t-elle occupé le Haut-Nil ? Comment a-t-elle compris son rôle de puissance colonisatrice ? En quoi les habitans ont-ils eu lieu de se féliciter de sa présence ? voilà, nous semble-t-il, ce qu’on a jusqu’à présent trop négligé de rechercher.


I. — LE HAUT NIL DE 1839 A 1869

La découverte du Haut Nil Blanc date d’une soixantaine d’années. Après la fondation de Khartoum par les Egyptiens en 1822, plusieurs explorateurs, parmi lesquels le Français Linant de Belle-fonds, remontèrent le fleuve. Mais aucun d’eux ne dépassa le 10° de lat. Nord. Sur les contrées situées plus au sud, où « se cachait, disait-on, la tête du Nil », on en était donc encore resté aux notions que les Arabes du moyen âge avaient empruntées à Ptolémée, les géographes modernes à ceux-ci, et que J.-B. Bourguignon d’Anville avait, au milieu du XVIIIe siècle, très exactement résumées dans un mémoire justement réputé[1].

Or, en 1839, Mehemet-Ali, soit par caprice, soit dans une vue intéressée, résolut de faire explorer les régions inconnues, au sud du Soudan égyptien, et n’ordonna rien de moins que « de découvrir les sources du Nil Blanc. » Trois expéditions partirent successivement de Khartoum en 1839, 1840 et 1841. Elles n’atteignirent pas les sources du Nil, mais ayant remonté le fleuve jusque dans les parages du 5° de latitude Nord, elles rapportèrent des connaissances géographiques entièrement nouvelles sur la région qu’elles avaient traversée. Que le Nil Blanc est navigable depuis Khartoum jusqu’au 5°, c’est-à-dire sur une longueur de douze cents kilomètres ; que de novembre jusqu’en avril les vents soufflent du nord ; qu’au sud du 9° vivent de nombreux troupeaux d’éléphans, et que le pays est en conséquence riche en ivoire ; qu’il est habité par des populations douces et accueillantes, voilà ce qu’en 1839 on ignorait, mais ce qu’en 1842, on sut d’autant

  1. Dissertation sur les sources du Nil pour prouver qu’on ne les a pas encore découvertes. Mémoires de littérature tirés des registres de l’Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres, t. XXVI.