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Makraka ou dans le Rohl. Les Dongolais dérobaient tout aux habitans : grains, bétail, femmes, enfans. « On vit commodément : les nègres récoltent du grain en quantité et quand on n’a plus de viande, on déclare les Agahr ou les Atot en rébellion, une razzia est organisée et on enlève les bœufs. On fait un beau rapport au gouvernement (il y en a de curieux dans leur genre) et le tour est joué. »

Quand Emin visita le district de Rohl en 1881, il trouva dans les postes des milliers d’esclaves. « On a volé ici dans des proportions énormes, écrivait-il, et depuis si longtemps qu’il faut seulement s’étonner qu’il reste quelque chose. S’il y a encore des nègres, ce n’est certainement pas à la protection du gouvernement qu’on le doit. »

Emin essaya de remédier à une situation aussi déplorable. Il libérait des esclaves, il expulsait les Dongolais sans métier avouable, mais ces tentatives de réforme n’excitaient que l’indifférence ou l’hostilité. Beaucoup de postes avaient pour chefs des Dongolais, anciens esclavagistes, qui se refusaient à sévir contre leurs camarades de la veille. Parmi les Egyptiens, fonctionnaires civils et officiers étaient en général le rebut de l’administration et de l’armée. Plusieurs avaient commis des fautes dans le service. D’Egypte, on était envoyé dans la province équatoriale par mesure disciplinaire. Ils ne s’intéressaient pas à cette terre d’exil. Tous opposaient à Emin une résistance passive. « On dit : oui, à tout, mais on ne bouge pas de l’angareb. »

Emin n’était pas mieux soutenu par ceux-là mêmes dont il voulait améliorer le sort : les indigènes. Jamais, par exemple, il ne réussit à obtenir d’eux qu’ils livrassent régulièrement chaque mois un certain nombre de têtes de bœufs. Comme il ne pouvait cependant pas priver ses soldats de viande, il fut obligé d’autoriser les razzias de bétail. Il défendit qu’on les exécutât sans sa permission. Mais on ne tenait pas compte de ses ordres et il se commettait fatalement des actes de violence dans cette levée de l’impôt à main armée. Il ne s’est rencontré ni un Dinka, ni un Bari pour nous faire connaître son sentiment sur l’occupation de son pays par les Egyptiens. Elle ne coïncida cependant certainement pas avec une ère particulière de bonheur. Entre l’époque présente et celle où l’arbitraire des Dongolais sévissait sans retenue, il n’y eut d’autre changement que la présence d’un homme de bonne volonté de plus dans la province.