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écrit dans un moment d’humeur « qu’ils étaient le peuple le moins intéressant du monde, que l’Allemagne est un pays où l’on trouve rarement ces vertus d’usage courant qui mettent de l’huile dans les rouages de la vie. » Nous lui avions plu dès le premier jour. Il disait que le duc de Cleveland, qu’il avait rencontré chez la duchesse de Mailly, était à sa connaissance le seul Anglais qui fût tout à fait chez lui dans la meilleure société française. Il aurait pu en dire autant de lui-même. Son biographe en convient, son commerce précoce avec la société parisienne avait décidé en quelque mesure de son tour d’esprit : certaines impressions de jeunesse sont si vives qu’on en porte à jamais la marque.

Il ne se passait guère d’année qu’il ne fit un séjour à Paris, il éprouvait le besoin de converser avec des Français et d’exprimer ses idées en français : nous étions nécessaires à son bonheur. « Certes, disait encore le Duc d’Aumale, il n’aurait jamais épousé la cause de la France engagée contre l’Angleterre ; mais, quand il voyait l’Angleterre et la France d’accord, sa joie était vive, et, lors de nos malheurs, sans prendre parti dans la querelle, il n’a jamais caché la sympathie que lui inspirait la France vaincue. » La meilleure preuve qu’on en puisse donner est le billet qu’il reçut au’ lendemain de l’occupation de Versailles par les Allemands :


Cher Monsieur, jamais je n’aurais cru que je vivrais assez pour voir un pareil jour. Vous devinez tout ce que mon cœur éprouve. Vous êtes du bien petit nombre de ceux avec qui il m’est possible de causer en ce moment, et vous me ferez du bien si vous venez déjeuner ici dimanche prochain, à midi et demi. Mille amitiés. H. d’Orléans.


Dans l’habitude de la vie, la France et l’Angleterre n’ont aucune raison de se vouloir du mal, et elles se décident facilement à se vouloir du bien : en fin de compte, malgré la prodigieuse différence des tempéramens, ce sont les deux nations de l’Europe qui ont le plus d’idées communes. Nous avons pour les Anglais une grande considération ; nous admirons la solidité de leur gouvernement, l’énergie de leur caractère : il nous en coûte peu de reconnaître qu’ils ont fait de grandes choses, et nous sommes sujets à de violens accès d’anglomanie. De leur côté, les Anglais qui raisonnent estiment que la France est nécessaire à l’équilibre de l’Europe, que l’entente cordiale des deux pays offre de sérieux avantages à l’un comme à l’autre, que c’est une société d’assurance mutuelle et le moyen le plus efficace de sauvegarder la paix du monde.

Mais l’affection que nous portent les Anglais est un sentiment d’une nature particulière, sur lequel nous ne pouvons faire aucun fond. Ils