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argumens elle finit par pénétrer dans l’esprit de son royal époux, et par lui inspirer, sinon une résolution arrêtée et définitive, du moins des doutes assez profonds pour ébranler sa conviction. En effet, quand le roi vit arriver M, Guizot, il ne put lui cacher l’état de son esprit et l’émotion, l’anxiété que lui avaient inspirés les paroles de la reine. Dès les premiers mots sur les instances de la reine et les doutes qu’elles avaient excitées chez le roi, M. Guizot s’empressa de déclarer qu’une situation toute nouvelle en résultait, qu’il ne pouvait l’accepter, que, dès lors, il regardait sa tâche comme finie et son ministère comme n’existant plus. En vain le roi s’efforça d’adoucir les termes de sa première communication, de faire revenir M. Guizot sur la résolution en apparence soudaine et si imprévue qu’elle lui avait inspirée. Le roi n’avait plus devant lui le ministre tenace et altier qui ne devait jamais l’abandonner et ne plier sous le vent d’aucun orage, tant qu’il conserverait une majorité dans la Chambre. Aussi, moitié blessure, moitié calcul, M. Guizot n’hésita pas à résister aux instances du roi, qui le priait en grâce d’oublier ce qui venait de se passer, ou d’attendre du moins qu’une entente commune du premier ministre avec le roi et la majorité toujours subsistante dans les Chambres dissipât les difficultés de quelques jours dues à l’agitation de l’opinion publique. M. Guizot n’y consentit pas, et, arrivé bientôt après au Palais-Bourbon, il fit connaître sa résolution et la retraite du cabinet qu’il présidait. Il n’y avait donc plus de gouvernement et, dès ce moment, jusqu’à ce que le ministère fut remplacé, on pouvait dire que l’anarchie n’avait qu’un pas à faire pour pénétrer jusqu’au cœur des pouvoirs publics.

La grave nouvelle que je venais d’apprendre si subitement eut pour effet immédiat de donner plus d’audace aux agitateurs, qui, au nom de la réforme, poussaient la majorité inconsciente de la population et de la garde nationale à l’attaque du gouvernement lui-même, c’est-à-dire à une révolution. Le même résultat en sens inverse se produisait parmi les principaux dépositaires de l’autorité, parmi les généraux et jusqu’au sein de l’armée. En effet, aucune instruction ne partait du centre pour aller donner la vie et l’unité à la hiérarchie gouvernementale. Aucun ordre d’ensemble, aucune instruction générale ne venait relier entre eux les divers corps de troupes chargés de maintenir l’ordre sur les points les plus menacés, c’est-à-dire aux portes Saint-Denis et