Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/302

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

, je maintins mon dire en mettant un peu trop vivement de côté les titres, les fonctions et la personnalité du commandant actuel de la garde nationale. J’ajoute, tristement, qu’un moment après Duchâtel avait disparu, emportant avec lui la plume qui aurait pu signer la nomination que je croyais impérieusement imposée par la gravité de la situation, Je poursuivis donc sans lui la conférence avec le roi et M. Guizot. L’un et l’autre ne faisaient aucune objection au nom du maréchal. Mais si leur hésitation ne se manifestait plus sur ce nom, elle prit une nouvelle forme sur la question de savoir s’il fallait l’investir cette nuit même du commandement général, ou s’il fallait, pour sa nomination, attendre la formation du nouveau ministère qu’elle aurait accompagnée ou suivie. Dans le premier cas — qui était mon avis, — M. Guizot devait se rendre aussitôt à l’état-major de la garde nationale pour prévenir le général Jacqueminot — atteint, je l’ai dit, d’une fièvre qui ne lui laissait aucun repos — de la nécessité de remettre le commandement au maréchal : et, de là, M. Guizot devait aller au ministère de l’intérieur, pour réclamer la signature de Duchâtel.

J’insistai sur la nécessité de brusquer ainsi l’événement afin de ne pas perdre un seul des instans que je soutenais être si précieux, et d’enchaîner par là la volonté de Thiers que je supposais chargé de la mission de présider le nouveau cabinet. Il fallait, en effet, agir énergiquement sur cette volonté, s’en emparer d’avance, pour ainsi dire, car le maréchal Bugeaud était devenu impopulaire malgré sa grande réputation comme homme de guerre ; la gauche et le parti ultra-libéral qui l’applaudissaient en Algérie le redoutaient en France comme homme politique. Il était évident que si l’initiative était laissée aux futurs ministres, cette nomination éprouverait de graves difficultés tandis qu’il serait difficile au nouveau ministère de faire rentrer dans le foureau l’épée du maréchal Bugeaud qu’on en aurait fait sortir au nom de l’ordre menacé. Le péril qui devenait de plus en plus évident aux yeux des moins clairvoyans aurait facilité au Cabinet nouveau le maintien d’un choix qui pouvait être plus ou moins critiqué dans la garde nationale, mais qui doublait la force de l’armée, cette force la plus sûre et la plus solide de toutes, « D’ailleurs, ajoutai-je, comment Thiers, dans cette situation, repousserait-il le chef d’armée qu’il avait à toute époque proclamé comme le premier de tous, qu’il avait si puissamment aidé dans