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— J’en suis heureux, lui dis-je en lui prenant les deux mains, car le péril est grand, et je suis sûr d’avance que le « ministre de l’intérieur de 1834 » se rappellera avant tout la courageuse énergie qui lui a fait tant d’honneur lorsqu’il a réprimé de cruelles émeutes bien moins redoutables cependant que celles dont nous sommes menaces pour demain. »

La réponse contenait l’expression des meilleures intentions. Je ne fus pas, toutefois, assez frappé de ce que cette expression pouvait avoir de vague, et le besoin de croire chez le nouveau dépositaire de l’autorité publique aux fermes sentimens qui m’animaient moi-même me porta à me faire illusion sur la réponse que j’avais reçue. Je sortis donc des Tuileries beaucoup plus tranquille, et rentrai chez moi en annonçant à ma femme que le roi allait avoir enfin un ministère, et Paris un gouvernement. Je le croyais du moins au moment où, après tant d’efforts, j’allai prendre quelques heures de repos.

Le 24 au matin, la vue de l’agitation que je pouvais constater de mes propres yeux sur la place Vendôme me prouva que la nuit avait été trop bien employée par les fauteurs de désordres et les chefs du mouvement populaire dont la funeste collision du boulevard des Capucines avait été le signal. Quelques compagnies de la garde nationale y étaient en formation, les gardes s’étaient réunis en divers groupes où les orateurs ne manquaient pas. Le spectacle que j’avais sous les yeux était bien tristement instructif pour moi : c’était dans les rangs mêmes de la garde nationale que je pouvais saisir la trace des passions que je redoutais. Je me hâtai d’aller rejoindre deux escadrons de ma légion rassemblés, l’un dans la cour et l’autre dans le jardin des Tuileries. J’étais convaincu de la probabilité d’un conflit ; ma place n’était donc pas en ce moment auprès du roi, — qui ne m’avait pas fait, d’ailleurs, appeler le matin plus que la veille ; — elle était dans les rangs de cette garde nationale qu’on s’efforçait d’égarer. J’étais bien sûr qu’on ne parviendrait pas à entamer la légion que je commandais. Aussi m’employai-je à communiquer avec tous les officiers des autres légions dont un grand nombre s’était déjà réuni, avec ou sans leurs compagnies, dans la cour du palais et sur la place du Louvre. C’est au milieu d’eux bien plus qu’aux Tuileries que je pouvais avoir quelque action utile sur les événemens. Le danger m’apparaissait de plus en plus grave, à mesure que j’apprenais ce qui s’était passé depuis la visite de M. Thiers,