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pour la garde du roi, je démontai un de mes gardes. Je pris la tête de ce douloureux cortège, avec la moitié d’un escadron, dont l’autre moitié forma l’arrière-garde sous les ordres de M. Savalette, ami de M. Thiers, partisan des idées de la gauche et de la réforme, mais dont la loyauté parfaite et la vigueur m’étaient connues.

Les deux voitures de service attendaient le roi non loin de l’obélisque ; en avant se trouvait massé un escadron de la ligne dont les généraux Regnault Saint-Jean-d’Angély et Prévost avaient pris le commandement. Quittant alors la tête de l’escorte, je m’étais placé entre la voiture destinée au roi et un groupe qui avait pénétré sur la place de la Concorde. Ce groupe, peu nombreux, était composé de quelques députés se rendant à la Chambre et de plusieurs ouvriers en costume de travail. Pendant que le roi montait rapidement en voiture avec sa famille, et que les personnes de sa suite s’entassaient devant, derrière, et dans la seconde voiture, je ne perdais pas de vue les ouvriers qui faisaient partie du groupe, et je ne parlerais pas de cette prudence, rendue si naturelle par les circonstances, si je n’avais été frappé des paroles que prononça en me regardant l’un de ces ouvriers, dont la figure n’avait rien d’hostile. « Mais pourquoi s’en va-t-il ? nous ne voulons pas lui faire de mal. » — Je le dis dans la profondeur de ma conviction : cétait là le mot de l’immense majorité des habitans de Paris, de ces aveugles qui ne voulaient pas faire de mal au roi, mais qui en faisaient un irréparable à la France et à eux-mêmes en se mettant à la suite des trois ou quatre mille hommes armés qui ont suffi à transformer un vœu de réforme en une révolution insensée dont les conséquences devaient peser si cruellement sur l’avenir de la patrie.

Peu de minutes s’étaient passées lorsque le convoi se mit en marche à la plus grande allure des chevaux. Je me plaçai à la portière du roi. Cette retraite avait été si rapide que les émeutiers qui venaient de porter la mort et l’incendie dans les deux postes de la garde municipale dont j’ai déjà parlé n’eurent pas le temps d’arriver jusqu’au Cours-la-Reine pendant que les voitures défilaient sur le quai ; j’eus alors de fort près le spectacle de ces forcenés se précipitant — en vain, Dieu merci — pour assaillir l’escorte du roi ; de là même, ce fait particulier qu’aucun coup de fusil ne put être tiré par ces hommes au milieu de leur course furieuse. La Providence épargna ainsi un danger de plus aux