de locomotion national ; c’est pourquoi l’on passe du wagon de chemin de fer à la charrette chinoise. A côté de ce véhicule, le tarantass sibérien paraît la plus douce des voitures. Deux grandes roues aux jantes énormes, recouvertes de fer et garnies d’un triple cercle de clous, supportent cet informe appareil qu’abrite une bâche bleue et que traînent deux mules, attelées en flèche. Tandis que le charretier s’assied en avant de la partie couverte par la bâche, l’infortuné voyageur se glisse au-dessous ; point de place pour s’étendre ; il faut rester assis, les jambes allongées. Aussitôt en marche, on se trouve projeté en tous sens contre l’armature en bois de la voiture ; tantôt une roue passe sur une pierre, tantôt elle retombe dans une ornière, et s’engage jusqu’au moyeu dans le sol défoncé ; l’infâme véhicule prend les inclinaisons les plus invraisemblables, à la grande angoisse de ceux qui s’y trouvent et qui contemplent avec horreur la boue profonde où ils se croient certains d’être précipités, soit que la charrette verse, soit qu’elle se trouve brisée par quelque cahot plus rude que les autres ; mais la solidité, qui en est la seule qualité, est à toute épreuve : une vingtaine de minutes après avoir quitté la gare, on est devant une haute muraille crénelée, précédée d’un fossé boueux, aux trois quarts comblé, qu’on suit pendant quelques instans. On tourne enfin sur un pont, au bout duquel une porte donne accès dans une demi-lune tout entourée de murs ; une seconde porte permet au voyageur de franchir l’enceinte proprement dite et d’entrer dans Pékin, où il aura encore à faire route pendant près d’une heure avant d’arriver, brisé, rompu, à l’hôtel que tient un Français dans la rue des Légations.
Bien qu’elle ne soit pas une des plus anciennes villes du Céleste Empire, Pékin n’en est pas moins un symbole, sur une échelle réduite, et comme un résumé de la Chine tout entière, de l’ancienneté de sa civilisation, de son immobilité prolongée, de sa décadence actuelle. Elle appartient à un type tout autre que celui des villes de l’Europe, aussi bien que de l’Orient musulman. C’est l’idée de Ninive ou de Babylone qu’évoque le spectacle de ces immenses murailles entourant la ville, de ces enceintes successives qui la divisent en quatre parties distinctes. D’abord la ville violette ou réservée, longue de près d’une lieue du sud au nord, sur une largeur trois ou quatre fois moindre ; elle contient les palais, entourés de jardins, où vivent l’empereur et l’impératrice douairière, au milieu d’une foule de parasites, dont le