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mieux promettre une récompense à celui qui retrouverait le secret des chars volans traînés par des phénix qui existaient autrefois ? Un membre du Tsong-li-Yamen s’élevait peu de temps auparavant contre les travaux de terrassement de ces mêmes chemins de fer et contre les clous enfoncés dans les traverses qui risquaient de blesser les dragons sacrés habitant le sous-sol et protecteurs des villes de l’empire. Toutes les superstitions de la géomancie du fengshui relatives à la circulation dans l’air de bons et de mauvais esprits, aux prescriptions qui en résultent pour la hauteur des monumens, la disposition des ouvertures, exercent le plus grand empire parmi les gens les plus haut placés.

Le recrutement démocratique du mandarinat le rend plus nuisible encore qu’il ne serait s’il constituait une aristocratie héréditaire et fermée. Tel qu’il est en effet, personne n’a d’intérêt à le détruire, les gens les plus intelligens s’efforcent au contraire d’y entrer ; la préparation aux examens écrème la population, attire à elle tous les esprits les mieux doués, qu’elle abrutit du reste irrémédiablement ; la carrière littéraire jouit d’un prestige énorme et le plus pauvre homme peut espérer que son fils y entrera. Elle n’excite donc nullement les haines que font naître les privilèges d’une caste et aucun mouvement n’a de chance de se produire contre elle. Mais le point où en est arrivé le Céleste Empire sous la direction exclusive de cette classe est la condamnation du système des examens appliqué au gouvernement ; maints États occidentaux qui tendent à s’enchinoiser sous ce rapport ont un grand profit à tirer de cette leçon. Le développement exclusif de la mémoire, l’obstination dans les vieilles méthodes, le misonéisme, le triomphe des médiocres sur les esprits originaux, la gérontocratie, la routine poussée au dernier degré, voilà les effets infaillibles de la méthode du concours à outrance.

Qu’en Chine ces effets aient été plus accentués qu’ailleurs, on ne le nie pas et cela tient à diverses circonstances historiques et ethniques. Arrivés bien avant notre ère à un haut degré de civilisation, les Chinois, plus nombreux et plus intelligens que leurs voisins, eurent vite fait, aussitôt qu’ils se furent réunis en un État compact, de soumettre l’Indo-Chine et la Corée ; le Japon était isolé dans ses îles ; ils n’eurent plus alors de voisins, séparés qu’ils étaient de l’Inde par de colossales barrières montagneuses et de l’Occident par d’immenses déserts. Dès lors ils n’eurent plus qu’à se laisser vivre, et, remplis d’admiration pour les travaux de leurs