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Des lettrés, qui gouvernent, il n’y a rien à espérer. Ils ne veulent rien apprendre, ni rien oublier. Leurs préjugés ne les empêcheraient-ils pas d’adhérer à un grand mouvement de réformes, que leur intérêt s’y opposerait. Dans l’état amorphe où se trouve aujourd’hui la Chine, avec la difficulté de communications entre la capitale et les provinces, les mandarins font ce qu’ils veulent. La Gazette de Pékin, c’est-à-dire le journal officiel, ne racontait-il pas dernièrement en termes pompeux la suppression d’une révolte, faisant le compte des frais et annonçant les récompenses proposées à l’approbation impériale — qui fut donnée — alors que jamais insurrection n’avait eu lieu dans l’endroit désigné ! On n’avait vu dans la région que trois soldats à la poursuite d’un voleur recherché par la justice ! De pareilles aubaines ne se représenteraient plus dans un État régulièrement organisé et l’on comprend que la classe à qui elles profitent ne désire aucun changement. « Ceux qui désespèrent le plus de la Chine sont ceux qui la connaissent le mieux, » me disait un missionnaire ; et c’est ce que j’ai toujours observé en causant avec les Européens vivant en Extrême-Orient. Il ne peut être question de réformes venues de l’intérieur, de si haut qu’en parte l’initiative, — on vient d’en avoir une preuve éclatante dans la révolution de palais du mois de septembre 1898. La pression extérieure pourra-t-elle en amener sans faire crouler tout l’édifice du Céleste Empire, et dans quelles conditions ? Telle est la question qui se pose.


PIERRE LEROY-BEAULIEU.