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fois, elle pourrait bien, si l’on n’y prenait garde, le ruiner une seconde.

« Alors, pourquoi ce travail ? Disons-le sans détour : c’est à regret que nous l’avons entrepris, et nous le publions seulement pour donner satisfaction à tous ceux qui nous le demandent depuis plusieurs années.

« A les en croire, outre qu’il est nécessaire de venir au secours des voix inexpérimentées de nos chantres, il est encore opportun de condescendre à cette déviation regrettable du goût général qui a créé chez les fidèles le besoin tout moderne d’entendre un accompagnement polyphone[1]. »

Les Bénédictins ont donc cédé à des exigences qu’ils déplorent et condescendu à des faiblesses qu’ils ne partagent pas, car leurs voix à eux ne sont pas « inexpérimentées ; » elles n’ont besoin ni de secours ni de soutien. Le matin de la procession, nous en eûmes la preuve. L’orgue accompagnait la marche et le chant. Il se tut quand les voix cessèrent de se faire entendre ; quand elles se rapprochèrent, il reprit : les voix n’avaient pas bronché. Certes, pour de moins fermes chanteurs, l’accompagnement peut être une aide ; pour le chant lui-même c’est un dommage. La polyphonie altère la parfaite unité, la simplicité absolue de cette mélodie, et le caractère, qu’elle possède au plus haut degré, d’un élément premier, irréductible. Il semble aussi que les accords durcissent, en les précisant trop, les modalités grégoriennes. Ils nous imposent des harmonies différentes parfois de celles que nous nous plairions à rêver, et certaines cadences, certaines modulations y perdent quelque chose de leur charme un peu vague et de leur flottante douceur. Mais si, partout ailleurs qu’à Solesmes, l’accompagnement du plain-chant est une faute nécessaire, à Solesmes c’est presque une heureuse faute. Les auteurs du Livre d’orgue nous disent encore en leur préface : « Pour mieux respecter le caractère et la souplesse de la mélodie, nous nous sommes efforcés de lui donner un fond harmonique calme et sobre, qui lui permette de se développer librement. Nous avons considéré cette mélodie comme un contrepoint fleuri dont il fallait trouver les voix secondaires, en suivant d’aussi près que possible les exemples et les préceptes des anciens contrapuntistes.

  1. Livre d’orgue. Chants ordinaires de la messe et des vêpres, transposes et harmonisés par les Bénédictins de Solesmes ; imprimerie Saint-Pierre, Solesmes ; Paris, Retaux.