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Solesmes, tout la rétablit et la consacre ; tout rappelle que le fond prime la forme, et la pensée l’expression ou le signe ; qu’en dehors, surtout à l’encontre du vrai et du bien, il ne saurait exister de beauté parfaite, et que si l’art est admirable lorsqu’il s’impose, il peut être plus sublime encore quand il s’efface.


J’ai quitté l’abbaye. Sur le chemin qui m’en éloigne, je me retourne pour tâcher de la voir encore. Elle a presque entièrement disparu. Je n’aperçois plus qu’au-dessus des arbres sa fière enceinte inachevée. Qu’elle s’achève donc, et qu’elle soit une citadelle. Qu’entre ses hautes murailles, elle garde un idéal intangible, immuable, et comme un canon de beauté. Qu’elle soit un asile aussi. Qu’aux jours d’inquiétude et de doute esthétique ou moral, on puisse venir se rassurer et se reprendre ici. Qu’au bord de cette rivière, parmi ces roses et sous ces arbres, on trouve toujours quelque chose de fixe, d’immortel, et des chants, comme des paroles, qui ne passeront pas. L’illustre auteur des Moines d’Occident, racontant la vie de saint Grégoire, a rapporté cette légende. Une nuit que le pontife rêvait, « il eut une vision, où l’Eglise lui apparut sous la forme d’une muse magnifiquement parée qui écrivait ses chants, et qui en même temps rassemblait tous ses enfans sous les plis de son manteau. Or, sur ce manteau était écrit tout l’art musical avec toutes les formes des tons, des notes et des neumes, des mètres et des symphonies diverses. » À Solesmes on croit rêver le rêve de saint Grégoire ; on s’y repose à l’ombre et sous les plis du manteau mélodieux et sacré.


CAMILLE BELLAIGUE.