« animer les murailles, » et ainsi faire de l’art en grand. Il a voulu en même temps peindre de nobles sujets et ainsi faire du grand art. Il a voulu, enfin, susciter parmi les impressions d’art, les plus simples, les plus saines, c’est-à-dire les plus dénuées de sous-entendus spirituels ou gaulois ; les plus calmes, c’est-à-dire les plus éloignées de l’intérêt dramatique et passionné ; les plus profondes, c’est-à-dire les plus dégagées du souci temporaire, de la mode régnante des mœurs ou de l’histoire au jour le jour. Il n’a voulu être ni Couture, ni Horace Vernet, ni Delacroix, ni Paul Delaroche. Il était jeune. Il était isolé. Il était inconnu. Il ne savait rien ou peu de chose. Il prit son parti de n’être rien de ce qu’étaient les maîtres de son temps. Il voulut être Puvis de Chavannes.
Aujourd’hui que ce nom veut dire quelque chose et qu’il est même tout un programme et un drapeau, — que personne, d’ailleurs, n’a suivi sans se perdre, — l’audace de cet homme semble toute naturelle. Mais cela se passait il y a près de cinquante ans. À cette époque, l’art était considéré comme un divertissement gracieux par les uns, ou un trompe-l’œil par les autres, la décoration comme un travail digne seulement des plâtriers, et l’allégorie comme un prétexte à mignardises sensuelles. Cet étonnant provincial arrivait parmi les peintres, comme un clergyman dans un bal de l’Opéra. Refusé pendant neuf années consécutives à tous les Salons, il essuya, quand il fut enfin reçu, tous les quolibets des débardeurs de la haute critique. Ce fut une bataille de concetti. On était au temps où Manet vivait déjà et où Gleyre ne mourait pas encore, où Gastagnary avait commencé de parler et où Charles Blanc n’avait pas commencé de se taire, où les fanatiques du Guide, des Carrache et de Carlo Dolci se gourmaient avec ceux de Courbet. Tout le débat, en un mot, semblait tenir entre les partisans de la vérité brutale et ceux de la grâce alanguie, entre les peintres de la basse-cour et les peintres du boudoir : Puvis de Chavannes, apparaissant au milieu d’eux, ne pouvait recevoir des deux côtés que des horions.
Il les reçut. En 1861, Castagnary lui apprend comment il faut entendre le symbolisme. « Est-ce bien le Travail, que M. Puvis de Chavannes a représenté là ? Je vois des forgerons qui battent le fer, des laboureurs qui défrichent un champ, des bûcherons qui équarrissent un tronc d’arbre, une accouchée qui présente le sein à un nouveau-né… Est-ce là l’allégorie du Travail envisagée