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parois d’un monument que la Révolution revendique ! La transformation du temple de la philosophie en basilique chrétienne serait accomplie avec les deniers des contribuables ! On consacrerait ainsi, d’un seul coup, tous les empiétemens du clergé depuis soixante ans ! Non… Non… »

Cette argumentation d’un « critique d’avant-garde » résume à peu près tous les griefs soulevés, dans tous les camps, contre Puvis de Chavannes. Elle nous semble aujourd’hui très extraordinaire. C’est que le temps a fait son œuvre. Les figures allégoriques de Puvis de Chavannes nous semblent des merveilles de clarté depuis que nous avons vu celles de M. Khnopff, et de santé depuis que nous avons vu celles de M. Carloz Schwabe. Son « christianisme » nous paraît bien philosophique et rationnel depuis que nous avons essuyé l’assaut du mysticisme esthétique, des chevaliers du Graal et de leurs « éthopées. » Ses gris nous frappent par leur lumière depuis que nous avons vécu dans l’atmosphère de M. Carrière. Mais cette critique surannée reflète très exactement les impressions ressenties par les amateurs durant trente ans devant les œuvres de Puvis de Chavannes, les sourires qu’elles soulevaient, les indignations qu’elles inspiraient et enfin les ostracismes dont on les a frappées.

Trente ans de suite l’artiste s’obstina. Ce doux audacieux que rien ne soutenait, ni les théories finissantes de l’école classique, ni les cris naissans du réalisme, continua de chercher les grandes lignes décoratives, les gestes calmes, des attitudes sereines, des tonalités claires, douces et franches. Il progressa sans doute, mais toujours dans la même direction, cherchant de plus en plus ce qu’on lui criait d’éviter, dessinant de moins en moins l’anecdote, concevant plus immobiles ses figures, et plus hauts ses symboles, et plus grise sa couleur, et plus simples ses horizons. Il marcha comme un somnambule, sans entendre, sans prendre garde, suivant fidèlement la lumière qu’il était alors seul à voir, et qui éclaire tout un peuple aujourd’hui.

Il avait la foi. Il avait une idée juste. Il a eu encore autre chose pour lui ; le temps, le temps sans lequel ni la foi ni la justesse des idées ne sauraient triompher. Il a duré. De cela, on le loue unanimement aujourd’hui, et l’on a raison de le louer, et l’on ne pourrait pousser trop loin l’éloge. Seulement, il faut se garder de transformer cette justice qu’on lui rend, en une injustice pour les autres artistes tombés trop tôt devant les