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France réclame aussi, et si la somme est moindre, la nature de la créance et le procédé qu’elle emploie atteignent plus rudement le padischah. Elle a fixé à 1 200 000 francs les sommes dues aux catholiques pour les excès dont ils ont souffert en Arménie ; le sultan a refusé de reconnaître la dette : ce serait convenir que les massacres ont eu lieu parce qu’il les a voulus ou parce qu’il ne les a pas empêchés. La France coupe court aux sophismes derrière lesquels il dérobe sa responsabilité, et, faisant opposition, pour la somme fixée, entre les mains de la Banque Ottomane, traite le chef du poste comme un débiteur récalcitrant. Cet acte de vigueur, réveil de la France à Constantinople, excite au palais une surprise inquiète : un conseil extraordinaire se réunit, et la Porte commence à se demander si elle ne paie pas trop cher le luxe d’une amitié unique, si elle n’aurait pas été plus sage de ménager, par une dispersion calculée de ses faveurs, plus de puissances. Les affaires de l’Allemagne ne passent plus aussi vite par-dessus toutes les autres. Et, selon la pratique invariable des Turcs, le meilleur de leur complaisance nouvelle va à la puissance qui semble ne les craindre pas. Déjà le sultan cherche le moyen de payer, en sauvant sa face, la somme réclamée par l’Arménie. Les diplômes de médecine délivrés à Beyrouth par l’Ecole française, et depuis si longtemps contestés, reçoivent vigueur dans tout l’Empire. Les compagnies françaises de chemins de fer voient leurs demandes accueillies avec une bienveillance qu’elles ne connaissaient plus depuis longtemps. Au contraire, Abdul-Hamid envisage avec une froideur croissante la venue de Guillaume II, et même, dans la mesure directe où un souverain musulman peut écarter un hôte impérial, il essaie d’ajourner le voyage.

L’Empereur persiste. Mais, si sa volonté reste immuable, les circonstances autour de lui changent et lui deviennent hostiles. C’est au moment où il a définitivement fixé son départ pour la Palestine que la lettre de Léon XIII maintient, par l’autorité pontificale, le protectorat catholique de l’Orient à la France. C’est au moment où Constantinople se prépare à recevoir le défenseur de l’empire ottoman que le massacre de Candie vient mettre à une nouvelle épreuve l’intégrité de cet empire. Les quatre puissances remettent, le 5 octobre, à la Porte un ultimatum : il exige que toutes les troupes du sultan abandonnent l’île, fixe le délai d’évacuation à trois semaines, donne huit jours au sultan pour répondre. Et le drogman d’Angleterre, en remettant l’ultimatum,