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que ces grands hommes ont été, surtout, de malheureux malades, n’ayant dû leur génie qu’à leur maladie. Et voici maintenant que, sur le conseil du maître, deux lombrosistes italiens, MM. Antonini et Cognetti de Martiis, se sont mis, chacun de son côté, à étudier à ce point de vue la vie et le caractère du poète tragique Victor Alfiieri, en prévision, sans doute, des fêtes que ne pourra manquer d’occasionner le prochain centenaire de sa mort. C’est M. Lombroso lui-même qui nous présente le résultat de leurs recherches, en le faisant précéder d’une préface des plus curieuses, et que je ne puis m’empêcher de signaler tout d’abord.


« Frappe, mais écoute, ai-je coutume de répéter toutes les fois que, devant les nouvelles preuves que nous apportons à l’appui de ma théorie de la psychose du génie, je vois les représentans les plus éminens de la littérature et de la critique détourner le visage, et se refuser non seulement à admettre, mais même à discuter cette théorie. Quand j’ai publié mon Homme de génie, on m’a demandé des monographies, établissant par des exemples suivis, et non plus par des anecdotes prises de droite et de gauche, la justesse de la thèse que je soutenais. Les monographies sont venues, et entrés grand nombre. Et voici à présent que nos adversaires nous reprochent, tantôt d’avoir mal interprété tel vers, tantôt d’avoir tenu pour authentique tel autre, qui était douteux. Soit donc ; je consens à avouer que nous pouvons commettre bien des erreurs de détail : mais la faute n’en est-elle pas un peu à vous, lettrés, qui n’avez jamais voulu nous prêter votre aide ? Et puis, ces erreurs fussent-elles plus nombreuses encore, ne sent-on pas qu’elles n’ont guère d’importance ? Quand on découvre que tour à tour tous les hommes de génie, considérés de près et avec une attention continue, que tous sans exception ont été des malades, comment des inexactitudes de détail pourraient-elles empêcher d’en conclure qu’entre le génie et la maladie existe un lien profond, essentiel ? Et cette conclusion s’impose davantage encore quand on s’aperçoit que, dans les cas très rares où le parallélisme du génie et de la dégénérescence pouvait sembler moins évident, cela tenait seulement à l’insuffisance des renseignemens biographiques : puisque, par exemple, des lettres récemment publiées ont établi, d’une façon désormais incontestable, la psychose de Michel-Ange et de Beccaria, l’épilepsie de Guerazzi et celle de Helmholtz. »

Après quoi M. Lombroso répond, en quelques lignes rapides et tranchantes, aux diverses objections qui lui ont été adressées. C’est ainsi que M. Nordau, — « son Nordau, » comme il l’appelle, — ayant