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de génie. Mais M. Lombroso a prévu la question ; et voici l’extraordinaire réponse qu’il y fait : « Alfieri, nous dit-il, n’a peut-être pas eu de génie en littérature : mais il en a eu en politique, lorsque, — par une trop juste observation que des faits tout récens sont venus confirmer, — il a engagé ses compatriotes à réagir contre cette invasion étrangère où des esprits moins clairvoyans croyaient reconnaître une conquête de la civilisation et de la liberté. » Voilà donc en quoi a consisté tout le génie d’Alfieri : et son seul titre de gloire, aux yeux de M. Lombroso, serait ainsi d’avoir eu pour les Français une haine que, cent pages plus loin, le lombrosiste M. Antonini met entièrement sur le compte de la vanité blessée et de la prévention hystérique ! Pour produire un « résultat génial » aussi mince, ce n’était vraiment pas la peine d’être un épileptique, ni un dégénéré : un « homme moyen » y aurait parfaitement suffi. Mais enfin, puisqu’on nous affirme qu’Alfieri était un épileptique et un dégénéré, puisqu’on nous avertit que l’étude psycho-pathologique de sa vie « confirme » d’une façon décisive la doctrine de la « psychose du génie, » nous allons oublier un moment qu’il « n’a pas eu de génie en littérature », pour mieux suivre les deux lombrosistes dans le détail de leurs déductions.


Celles-ci sont presque entièrement fondées sur un document unique : la célèbre autobiographie d’Alfieri publiée, après sa mort, par la comtesse d’Albany. M. Antonini joint bien, à son analyse de cette autobiographie, quelques réflexions complémentaires que lui ont suggérées l’écriture d’Alfieri et son portrait par Xavier Fabre ; et M. Cognetti, de son côté, nous offre bien toute une série d’observations sur la généalogie du poète et les influences héréditaires qu’il a pu subir : mais tout cela est absolument insignifiant, de l’aveu même des deux biographes, et la principale source d’information, pour l’un comme pour l’autre, est le récit que nous a laissé Alfieri lui-même des aventures de sa vie. Pas une fois, d’ailleurs, M. Antonini non plus que M. Cognetti ne paraissent avoir songé à contrôler l’exactitude de ce récit ; pas une fois ils n’ont admis, chez Alfieri, la possibilité d’une erreur ou d’une exagération. Ils ont tenu son autobiographie pour un document de o tout repos » : et M. Antonini, en particulier, s’est pour ainsi dire borné à la résumer chapitre par chapitre, en insistant sur les divers passages qui, suivant lui, attestaient un tempérament de dégénéré épileptoïde.

C’était là, je crois, attacher aux Mémoires d’Alfieri une importance historique, et pour ainsi dire scientifique, un peu excessive. On sait