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La période suivante, en effet, est caractérisée par un « état neurasthénique permanent » et par certaines « prédispositions psychopathiques. » Alfieri nous apprend, par exemple, que, lorsqu’il allait voir sa sœur au couvent où elle faisait ses études, souvent il passait tout le temps de sa visite à pleurer avec la jeune fille, qui avait alors un gros chagrin d’amour. « Ces pleurs, ajoute-t-il, me faisaient grand bien, et je m’en retournais plus soulagé, sinon plus gai. » Puis c’est lui-même qui devient amoureux. « Voici, nous dit-il, quels furent chez moi les premiers symptômes de cette passion, dont je devais par la suite éprouver les atteintes bien plus cruellement encore : une mélancolie opiniâtre et profonde ; une recherche continuelle de celle que j’aimais et que je quittais aussitôt que je l’avais trouvée ; une timidité qui m’empêchait de lui parler lorsque, par hasard, je me voyais un peu à l’écart avec elle ; l’impossibilité non seulement de jamais parler d’elle, mais même d’entendre prononcer son nom ; enfin tous les mouvemens que notre Pétrarque, peintre divin de cette passion divine, a décrits dans ses vers avec tant de justesse et d’éloquence à la fois. » La mention de Pétrarque aurait dû désarmer M. Antonini : mais non ; et après avoir signalé « la teinte paranoïque » de ce premier amour, il nous parle, à son propos, d’ « hyperactivité sexuelle » et d’ « érotisme idéal. »

Le chapitre suivant de son étude porte le titre qu’on va lire : « Jeunesse, période de dépression et d’exaltation. — Impulsions ambulatoires. — Amours morbides. — Équivalent épileptique. — Véritable accès d’épilepsie psycho-motrice. — Sensibilité météorique. » Voilà tout ce que M. Antonini a découvert dans les vingt pages où Alfieri raconte ses premiers voyages à travers l’Europe ! Et que si, en effet, on peut trouver que le poète a beaucoup voyagé, lui-même prend soin d’expliquer, à plusieurs reprises, les motifs qui l’ont poussé à ces constans déplacemens. Il était riche, désœuvré ; il ne pouvait se résigner à la vie de courtisan qu’il aurait dû mener à Turin ; et son beau-frère, pour l’occuper, lui avait suggéré le projet de se préparer à la diplomatie en visitant les principales cours de l’Europe. Ses « impulsions ambulatoires, » d’ailleurs, lui étaient communes avec la grande majorité des jeunes gens riches de son temps ; et en Italie comme en France, comme en Allemagne et en Angleterre, le « tour d’Europe » était alors un usage au moins aussi fréquent qu’aujourd’hui. Mais M. Antonini s’obstine à découvrir, dans les voyages du jeune Alfieri, « l’indice d’une névrose épileptique qui va, bientôt après, se traduire en génie. »

Encore les voyages ne lui paraissent-ils pas, à ce point de vue,