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Madagascar ; puis le Dahomey, sans parler de nos expéditions éternelles dans le Haut Sénégal ; puis le Congo ; puis le Niger. Nous en oublions sans doute. La somme d’énergie dépensée dans toutes ces entreprises est extraordinaire : les résultats ont-ils été en proportion de l’effort accompli ? Oui, peut-être, si on se contente de mesurer l’étendue des territoires passés sous notre domination ; non, certainement, s’il s’agit du parti que nous avons su en tirer. Notre colonisation est restée plus militaire que commerciale. Le pays avait le sentiment qu’il s’étendait sans se fortifier, et surtout sans s’enrichir. Mais il subissait une sorte d’entraînement, contre lequel il protestait quelquefois, pour finir toujours par y céder. L’attitude des Chambres, et du gouvernement devant elles, est à cet égard significative. Le gouvernement ne prononçait pas un discours sans promettre de ne pas aller plus loin ; notre domaine colonial était complet, disait-il, et n’avait plus besoin que d’être bien administré : c’est à quoi on allait procéder. Et, quand le gouvernement tenait ce langage, il était couvert d’applaudissemens. Puis, lorsqu’il manquait à sa promesse, et que, en invoquant l’honneur du drapeau ou quelque grand intérêt national, il demandait la confiance du Parlement, celui-ci l’applaudissait encore et lui donnait tout ce qu’il voulait. Combien de fois n’avons-nous pas vu les choses se passer ainsi ? La politique coloniale semblait obéir à une poussée qui venait on ne sait d’où, beaucoup plus du hasard assurément que d’une pensée politique, calculée et réfléchie. Il fallait faire un second pas parce qu’on en avait fait un premier, sans que personne pût dire comment le premier s’était fait. Le malheur de cette politique, si c’en est une, est d’abord que nous sommes devenus vulnérables sur un très grand nombre de points à travers le monde, et le second est que nous avons provoqué contre nous des susceptibilités de plus en plus vives, dont la dernière manifestation pèse aujourd’hui si péniblement sur nous. Il était facile à un observateur attentif de voir venir le danger ; tout le monde pourtant en a paru surpris.

Nous voulons, au surplus, parler le moins possible de Fachoda. La Chambre des députés s’est tue sur la question, et elle a bien fait : il y a de certaines obligations qu’il vaut mieux accomplir dans le silence. En ce moment, les récriminations manqueraient de dignité. Le gouvernement actuel n’avait d’ailleurs aucune responsabilité dans l’affaire. Si nous voulions rechercher les responsabilités premières, peut-être ne les retrouverions-nous pas facilement, et d’ailleurs que nous servirait-il de les attribuer à celui-ci ou à celui-là ? C’est notre politique générale qui est coupable. Il nous est difficile de croire que personne en