ainsi, rien qui dût nous déplaire. Lorsqu’on est en présence d’une très grande puissance, il est de politique élémentaire de se mettre à plusieurs pour lui faire équilibre. C’est ce que nous aurions peut-être pu faire, à la condition de nous y prendre en temps opportun. L’Angleterre elle-même, à ce moment où tout était incertain, même dans son esprit, et où elle n’avait pas encore accompli l’immense effort d’où elle tire son droit actuel, n’aurait pas pu voir là un acte non amical. Sir Edward Grey n’avait pas encore prononcé son fameux mot. Cette politique n’était pas sans inconvéniens, mais elle avait des avantages : ce n’est pas celle que nous avons suivie. Nous sommes allés sur le Nil dans les conditions que l’on sait. Le commandant Marchand et ses quelques compagnons ont déployé le plus admirable héroïsme, mais le plus vain. Nous avons poursuivi un but mal défini avec des moyens tout à fait impropres à l’atteindre. Il fallait ne rien faire, ou procéder comme nous venons de le dire. Ne rien faire sur ce point aurait pu nous permettre de porter notre effort sur un autre mieux choisi : agir comme nous l’avons indiqué aurait pu nous permettre d’établir sur le Nil un noyau d’intérêts européens. Nous n’avons fait ni l’un ni l’autre. On peut malheureusement échouer, même dans une politique bien combinée ; mais on est sûr de le faire lorsque tous les élémens de succès manquent à la fois.
Ce n’est pas là une excuse pour l’Angleterre. Nous n’avions eu aucune intention agressive à son égard, et la faiblesse même de notre action aurait dû la porter à nous traiter avec plus de ménagemens. Elle a préféré profiter de la situation fausse où nous nous étions mis, en même temps que de notre volonté déclarée de ne rien pousser à l’extrême, pour nous infliger ce qu’elle regardait sans doute comme une leçon. Y trouvera-t-elle elle-même grand profit ? Rien n’est plus douteux : elle n’aura que Fachoda, qu’elle aurait pu avoir à meilleur compte. Mais il importe que, nous du moins, nous retirions de l’incident tout l’enseignement qu’il comporte. L’incident, nous l’avons dit, perd beaucoup de son importance après le discours de lord Salisbury. S’il s’agit de nous dans ce discours, il s’agit aussi de beaucoup d’autres. Ces dangers de guerre que le ministre anglais aperçoit partout à la fois ne viennent donc pas de nous seuls. Il y a là pour tout le monde ample matière à réflexions. Le mal n’est peut-être pas aussi grand que le croit l’orateur du Guild Hall. Nous ne dirons pas que la guerre peut être évitée demain puisqu’elle l’a été hier, car nous ne croyons pas qu’il y ait eu hier un vrai danger de guerre. L’exagération même que lord Salisbury a donnée à un fait de portée médiocre