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a été fondée au capital de cinq mille francs, versés exclusivement par des souscripteurs qui s’interdisaient d’y avoir recours. Ce n’est pas une caisse de crédit mutuel. Elle est administrée par six membres : deux patronnes, deux employées, deux ouvrières. En principe, les prêts ne sont consentis que pour six mois. Ils sont proportionnels au salaire de l’emprunteuse. Les résultats de l’expérience, qui était hardie, ont été excellens. Sur 17 843 francs de prêts que la caisse a consentis en dix ans, elle n’a éprouvé crue 817 francs de perte. Mais ces prêts n’ont pas été consentis uniquement à des ouvrières. Un certain nombre de petites patronnes, membres du syndicat, ont eu également recours à la caisse. Plus intéressante est donc l’expérience tentée par la Couturière, qui, au mois de juillet 1897, a fondé également une caisse de prêts gratuits en prélevant une somme de 10 000 francs sur le produit d’une fête de bienfaisance. Aucune participante ne prend part à la gestion des fonds de cette caisse, uniquement administrée par une délégation des membres honoraires. Bien que la caisse n’ait pas de statuts écrits, dans la pratique le minimum des prêts est de 30 francs, le maximum de 200 francs, remboursables, en un an au maximum, par fractions de cinq francs au minimum.

En quinze mois, la caisse a ainsi prêté 3 172 francs à 24 sociétaires. Les motifs allégués à l’appui de la demande d’emprunt ont toujours été l’embarras de payer un terme échu, ou la crise résultant de la morte-saison. La forme donnée à l’emprunt est celle d’un billet à échéance, pour lequel, si l’ouvrière est mariée, on demande l’aval du mari. Sur ces 24 billets, 19 ont été totalement soldés à l’échéance ; 4 sont en souffrance, mais seront vraisemblablement payés. Un seul occasionnera une perte de 30 francs. Un mauvais débiteur sur 25, et surtout une perte de 30 francs sur 3 172, c’est là une proportion dont se contenterait, je crois, une société d’escompte. La tentative a donc pleinement réussi ; elle a montré que ces petites ouvrières, à l’air si léger, avaient leur honneur, que leur signature était bonne, et qu’elles n’étaient incapables ni de fidélité dans leurs engagemens, ni de régularité dans leurs payemens. D’autres sociétés vont, à ma connaissance, s’inspirer de cet exemple. L’idée est lancée ; elle fera son chemin.

Il y aurait encore un autre moyen de faire apparaître la société de secours mutuels aux yeux de la jeune ouvrière sous un autre aspect que celui d’un médecin ou d’un croque-mort. Ce serait que le siège social de la société fût en même temps pour les adhérentes