Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/608

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Marie-Catherine épouvantée craignit un moment pour sa vie. Mais cette explosion passagère ne fut rien, assure-t-elle, au prix du « long supplice » qui commença pour elle. De nombreux témoignages, recueillis par la suite dans le procès de séparation, viennent confirmer ses dires. Odieuses imputations, surveillance humiliante de chaque sortie, de chaque visite reçue, de chaque mot échangé dans le monde, reproches sanglans adressés en public, scènes révoltantes devant les domestiques, réconciliations imposées, plus injurieuses que les querelles ; on ne peut lire sans une pitié profonde cette monotone et triste litanie. La mauvaise chance voulut que, justement à cette époque, eussent lieu à Chantilly des réceptions extraordinaires où fut conviée toute la Cour. Le prince héréditaire de Brunswick y vint, dans l’été de 1767, passer quelques semaines chez le prince de Condé. Ce furent, pendant quinze jours de suite, des fêtes incomparables, soupers, feux d’artifices, promenades sur les canaux en des gondoles parées, « bals champêtres, » où des milliers de villageois, « vêtus d’habits de basin blanc ornés de rubans multicolores, » se mêlent aux nobles invités et dansent avec eux sur les pelouses. Le prince de Monaco, en dépit de ses soupçons, crut devoir paraître au château et y mener sa femme ; mais sa jalousie en éveil sut en rendre, pour elle, le séjour intolérable. Sans cesse attaché à ses pas, il épie ses moindres paroles, lui interdit la promenade et la danse, la contraint, lorsqu’il va souper, à s’enfermer dès neuf heures dans sa chambre, y entre par surprise, plusieurs fois dans la nuit, pour s’assurer qu’elle est effectivement couchée ; et, quand le prince de Condé, par une inspiration maladroite, insiste pour garder ses hôtes une journée de plus sous son toit, la colère d’Honoré est telle que, remonté chez lui, il s’élance sur sa femme, et fait mine de la précipiter dans les fossés du château[1].

À ces procédés violens, Marie-Catherine oppose au début une inaltérable douceur. Ses lettres à son mari, durant cette année 1767, témoignent de sa patience, de sa bonne volonté. Elle est prête, pour acheter le repos, à tous les sacrifices ; elle offre spontanément de renoncer à une intimité qui est l’unique bonheur de sa vie. Elle est « fâchée des inquiétudes causées par le voyage à Chantilly ; » aussi a-t-elle décliné pour l’avenir toute invitation de ce genre : « Je ne suis pas, ajoute-t-elle joliment, comme le chien du jardinier ; car j’ai plaisir à savoir que tout le monde

  1. Déposition des témoins. (Arch. nationales.)