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16 janvier 1771. » On ne trouvera pas ici le détail du procès qui s’engagea, la semaine suivante, devant le parlement de Paris. Ce qu’on a lu dans les pages qui précèdent en fait assez connaître les élémens principaux. L’information, rapidement menée, fut accablante pour Honoré. Ses parens les plus proches, ses amis les plus intimes, ses plus anciens serviteurs[1], déposent unanimement contre lui, peignent sa tyrannie sous les plus effrayantes couleurs. Le prince au reste ne cherche pas à se défendre. Tout au plus envoie-t-il de brèves « observations, » pour expliquer et atténuer quelques-uns des griefs qui lui sont reprochés. Il s’y attache surtout à justifier son droit d’emmener Marie-Catherine, « sa femme et sa sujette, » dans la principauté : il n’y médite contre elle aucun mauvais dessein ; « les juges, allègue-t-il spécieusement, ne doivent pas présumer le crime ; et nulle loi ne condamne un homme à avoir les deux mains coupées, sous prétexte qu’il en peut faire mauvais usage. » Mais il ne s’arrête guère à ces contestations, et, — non sans dignité, — prend les choses de plus haut. Prince de Monaco par droit de naissance, cette souveraineté, dit-il, « constitue son état essentiel. » Il « manquerait à soi-même et à sa postérité si, dans une affaire de cette sorte, il se reconnaissait justiciable d’aucun tribunal étranger. » Il proclame donc hautement l’incompétence du parlement, la nullité de toute sentence prononcée contre lui, et adresse à Louis XV un mémoire, d’assez fière allure, pour rappeler ces principes et établir son droit. Le roi, embarrassé et mécontent, renvoya le mémoire à Choiseul[2], en recommandant le secret. Il n’y fut fait aucune réponse ; la protestation d’Honoré s’enfouit, pour n’en jamais sortir, dans les cartons du ministère, et le procès suivit son cours. Ce fut le plus rude coup porté par la cour de France à l’orgueil et aux prérogatives séculaires des princes régnans de Monaco.

Les enquêtes terminées, les témoins entendus, le parlement fixa la date du 10 décembre pour rendre sa sentence. Mais un

  1. Le prince, pour intimider ces derniers, fit publier à nouveau un antique édit de la principauté, portant que les domestiques convaincus de faux témoignage devront être « promenés, montés sur un âne, par les voies publique ? , avec une rame sur l’épaule, et recevront deux fois le fouet en public. »
  2. Voici le billet du Roi à Choiseul, au sujet de cette affaire : « De Compiègne. 13 août 1770. Je vous renvoie le mémoire de M. de Monaco. Si on le communique au Procureur général, je crois qu’il pourrait le contredire en plusieurs points. Mais l’essentiel est le silence absolu qu’il promet et qu’il fera bien de tenir. Gardez le Mémoire au dépôt secret des Affaires étrangères. » (Arch. de Monaco.)