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IX

La vie de la princesse de Monaco, pendant les dix années qui suivent, peut se résumer en ces lignes : fidélité absolue et constante à la fortune, au drapeau de Condé, partage complet et sans réserve des fatigues, des périls, des misères du vieux prince, dans la campagne sans espoir où l’ont engagé ses principes, les idées qu’il se fait du devoir monarchique. Retracer en détail cette période de son existence, ses pérégrinations, les épreuves qu’elle subit, les péripéties qu’elle traverse, serait refaire, après tant d’autres, l’histoire de l’armée de Condé[1]. Je rappellerai seulement, d’une plume volontairement rapide, les phrases principales de cette longue odyssée. Elle commence au lendemain même du sac de la Bastille, le 15 juillet 1789. Le soir fatal où le prince de Condé se décide à chercher au dehors un secours pour le trône en péril, Mme de Monaco passe avec lui la frontière. Etrangère à la France, n’ayant rien, — semblait-il alors, — à craindre pour elle-même des bouleversemens qui se préparent, elle obéit sans hésiter à la seule impulsion de son cœur. Pour ne pas quitter l’homme qu’elle aime, elle sacrifie sans un soupir son bien-être, son repos, la douceur de la vie ; elle accepte avec joie sa nouvelle destinée de princesse vagabonde. Bruxelles, Lucerne, les bords du Rhin sont les premières étapes du triste pèlerinage. Si, lors du voyage en Piémont, elle devance Condé de quelques jours, c’est pour préparer ses logemens dans la villa, voisine de Gênes, qu’elle tient de sa famille[2], seul coin de terre qu’elle possédera bientôt. Un an plus tard, elle est au camp de Worms : Condé, chef de l’armée qui s’organise, y tient une véritable cour, dont elle fait les honneurs. Pour le seconder dans sa tâche, elle renonce à sa « sauvagerie, » triomphe de son dégoût du monde. Tous les officiers royalistes, gentilshommes ou roturiers, qui affluent au château de Worms, sont touchés de ses douces paroles, gagnés par sa grâce souriante[3]. Gœthe, qui la vit vers cette époque chez le baron de Stein[4], n’échappe pas à cette séduction ; le portrait qu’il a tracé d’elle traduit cette impression

  1. On peut consulter notamment le récent et consciencieux ouvrage de M. R Bittard des Portes — Paris, 1896.
  2. Mémoires inédits du comte d’Espinchal.
  3. Souvenirs de M. de Romain.
  4. Près d’Ems, sur la Lahn. — Poésie et Vérité, par Gœthe.